Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
207
ANALYSES.p. janet. Les causes finales.

des hautes spéculations n’est pas perdu ni même trop affaibli parmi nous ; en effet, le traité des Causes finales est peut-être l’œuvre la plus originale de l’auteur et marque certainement, par l’alliance heureuse des données les plus récentes de la science avec les plus hautes théories métaphysiques, un des plus vigoureux efforts de la philosophie française contemporaine. Les modifications apportées par l’auteur à cette seconde édition se trouvaient déjà en partie dans la traduction anglaise (par Wiliam Affleck, Edinburgh, 1878, avec une préface du professeur Flint). Elles ne portent pas sur le fond des choses, sur la doctrine même, mais principalement sur la disposition des matières ; aussi suffira-t-il dans ce compte rendu de les signaler avec exactitude, sans entrer dans le vif du débat, avantage précieux, car tout le monde sait que M. Paul Janet est le plus pénétrant dialecticien de notre temps. M. Liard terminait l’analyse remarquable qu’il a donnée de la première édition des Causes finales (Revue philosophique, année 1876, tome II, page 198) par cette prédiction qui s’est amplement réalisée : « Ce n’est pas une de ces œuvres auxquelles on fait en passant l’honneur de quelques critiques. Elle mérite un long et sérieux examen, et nous sommes convaincu qu’elle l’obtiendra. »

Voici d’abord les changements introduits dans le texte : M. P. Janet a trouvé que l’examen des objections et difficultés élevées contre la théorie des causes finales interrompait par de trop longues discussions spéciales et plus historiques qu’actuelles le courant de la discussion générale. Il en a donc rejeté la plus grande partie à la fin du volume. Le lecteur n’y perd rien ; il retrouve, sous forme d’appendice, les très intéressants chapitres où l’auteur raconte l’étrange abus qu’ont fait des causes finales les philosophes qui prétendent que « les nez sont faits pour porter des besicles » et étudie, avec une merveilleuse érudition et une critique déliée et sûre d’elle-même, les objections de Lucrèce, de Bacon, de Descartes, de Spinoza et de l’École positiviste. M. P. Janet a été heureusement inspiré en complétant l’étude de la théorie de l’évolution : aux chapitres consacrés à l’idée générale de l’évolution, à Lamarck et à Darwin, la nouvelle édition ajoute un chapitre consacré à Herbert Spencer. Le corps de l’ouvrage renferme donc désormais l’exposition critique la plus approfondie qu’on ait encore faite du plus célèbre système du siècle. Tout l’essentiel se trouve dans ces cent pages. On connaît l’éloge ironique : « Chaque acte dans sa pièce est une pièce entière. » Il n’en est pas de même ici, car l’examen de la théorie de l’évolution termine admirablement la première partie de l’ouvrage ; on pourrait néanmoins affirmer sans crainte que ces cent pages forment à elles seuls un très important traité, extrêmement attachant, et actuel au suprême degré. Primitivement, l’ouvrage se terminait par le chapitre sur l’idée pure et l’activité créatrice ; il se termine aujourd’hui par un chapitre sur la fin suprême de la nature, dont les éléments sont empruntés à un appendice de la première édition. Citons les propres paroles de M. P. Janet : « Ce morceau nous a paru terminer l’ouvrage d’une ma-