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ANALYSES.y. guyot. La Morale.

(p. 40). Il s’agit donc, en somme, de donner à l’homme et à la société les moyens de se conserver, soit en apprenant d’abord à l’homme quel est son intérêt bien entendu, et ensuite en réprimant les tendances égoïstes quand elles peuvent nuire à la bonne harmonie sociale. On arrive ou l’on essaye d’arriver à ce but par l’ « organisation de l’action réflexe », par la création chez l’homme d’instincts assez forts pour diriger sa conduite. C’est la tâche qu’ont entreprise les religions et les métaphysiques : elles ont échoué ; il s’agit maintenant d’organiser l’action réflexe d’une manière scientifique. Allons-nous donc marcher sur les traces de la religion et de la métaphysique ? Non ; il y a une différence essentielle entre leurs procédés et le procédé de la science. « Dans l’organisation théologique et métaphysique de l’action réflexe, le cercle est fermé. Elle s’est acharnée à constituer des instincts si forts que l’homme est obligé de s’y soumettre, comme les oiseaux migrateurs se soumettent à la migration. L’action réflexe, accumulée dans les générations antérieures, est toute-puissante… ; l’homme, ainsi préparé, se décide, non d’après son expérience personnelle, mais uniquement d’après l’accumulation antérieure. C’est un impulsif. Il agit comme le petit chien prend la tétine de sa mère, comme les oiseaux font leur nid, comme le chat guette les souris. Il ne se retrace pas ses actions passées, il n’en apprécie par les motifs ; il n’a, pour approuver les unes et désapprouver les autres, d’autre critérium que cet instinct, et c’est cet instinct qui lui fait brûler les sorciers au moyen âge, et fusiller encore de nos jours ceux dont les opinions heurtent les siennes. Les coutumes mauvaises, les superstitions absurdes sont pour lui les motifs déterminants… » La vraie méthode nous fait agir autrement ; il faut que l’instinct soit toujours sous le contrôle de l’intelligence : c’est ainsi seulement que l’évolution humaine pourra librement et régulièrement s’effectuer pour le plus grand bien de tous. « Ayez soin de n’imprimer à vos enfants que des actions réflexes dont vous puissiez plus tard leur expliquer la raison d’être ; ayez soin peu à peu de leur apprendre à se rendre compte du motif pour lequel ils ont raison de faire telle ou telle chose et non pas telle ou telle autre. Au lieu de soumettre la méthode à l’action réflexe, subordonnez l’action réflexe à la méthode, de manière que l’individu ne fasse rien, ne croie à rien sans s’être décidé, au moins à un moment donné, par un examen personnel. »

Voilà les procédés ; quant au but, c’est le bonheur. Comment être heureux ? Par le savoir, répond M. Guyot, « de toutes les propriétés, une seule est sérieuse, dont les titres sont indiscutables, au moins pour toi c’est le savoir. Le possédant, tu peux répéter avec Épicure : « Du « pain et de l’eau, et je suis prêt à disputer de bonheur avec Jupiter… » « Emmagasine des sensations et des idées ; et les pieds au feu, seul dans ton cabinet, en marchant dans l’allée solitaire, en arpentant isolé le pont d’un navire, ou immobile dans un coin de wagon, tu peux arriver au maximum de vie. » On pourrait trouver un peu étroite cette conception du bonheur, qui ne mettrait le bonheur que dans le développe-