Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/220

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
216
revue philosophique

ment de l’intelligence. La suite du chapitre indique que M. Guyot entend bien exciter aussi l’activité. « Ton idéal de bonheur, il t’est indiqué par tous les naturalistes qui ont étudié l’évolution des organismes ; il obéit à la même loi que le chêne qui, dans les forêts, pousse tout droit pour arriver jusqu’à la lumière ; il obéit à la même loi que l’animal livré à lui-même. C’est le maximum de développement dont ton organisme est susceptible. Au lieu d’avoir un levier extérieur : Dieu, diable, paradis, purgatoire, enfer, j’ai un levier interne. Ce n’est pas l’impératif catégorique de Kant ; c’est l’énergie accumulée. »

On peut voir par ce résumé quelles sont les principales idées générales de l’auteur sur la morale. Quant aux questions particulières qu’il examine, je me bornerai à dire qu’il défend l’égoïsme contre un altruisme excessif, qu’il se montre tout à fait opposé à une grande influence de l’État, qu’il préfère la justice commutative à la justice distributive, enfin qu’il se prononce très nettement, et avec des notes belliqueuses, pour la civilisation pacifique et industrielle contre la civilisation guerrière. M. Guyot termine ainsi son livre :

« Nous avons enfin, pour nous assister, la devise lumineuse : Liberté, égalité, fraternité. Elle renferme toute la morale objective.

« Liberté : chacun se décidant par lui-même.

« Égalité nul ne voulant imposer sa volonté aux autres.

« Fraternité : sympathie pour tous les humains, pauvres et riches, faibles et forts, jeunes et vieux, femelles et mâles, nègres, jaunes, blancs, à cheveux plats ou à cheveux crépus, bruns, blonds, rouges, brachycéphales ou dolichocéphales, des pôles à l’équateur, à tous les degrés de longitude. »

Peut-être, comme précision scientifique, pouvait-on trouver mieux que la devise lumineuse », dont le commentaire est parfois bizarre ; mais l’auteur ne s’adresse pas seulement aux philosophes.

En somme, le livre de M. Guyot dénote plus de bon sens que d’originalité philosophique, la vigueur et la conviction y remplacent un peu trop la précision et la rigueur. Les remarques justes, ingénieuses ou fortes, nombreuses d’ailleurs, sont un peu noyées dans bien des inutilités. On voudrait plus de concision et plus de profondeur aussi. Tous les lecteurs ne sont pas difficiles à contenter. M. Guyot, avec le talent qu’on ne peut lui nier, devrait l’être davantage, et l’on se sent d’autant plus porté à être exigeant que l’on voit l’auteur capable de donner plus qu’il ne donne. Au reste, s’il y a quelques réserves à faire à propos de certaines opinions émises par M. Guyot}, il y a encore plus à approuver dans ses tendances et dans les idées, générales ou particulières, qu’il a développées dans son ouvrage.

Fr. Paulhan.

H. Cohen.Von Kants Einflus auf die Deutsche Kultur.Influence de Kant sur la civilisation allemande. In-8o. Berlin, 1883.

L’admiration de Kant est aujourd’hui à l’ordre du jour ; le retour à