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ANALYSES.h. cohen. Von Kants Einfluss, etc.

Kant est le premier mot de la sagesse. L’enthousiasme allemand ne se contente plus de voir dans Kant un homme d’un grand génie, dont la pensée puissante et féconde a préparé une voie nouvelle à la spéculation philosophique ; il faut que Kant ait dit le dernier mot de la philosophie définitive, qu’il ait couronné l’édifice des sciences particulières, naturelles aussi bien que morales, qu’il ait à lui seul engendré tout le mouvement artistique et littéraire de notre siècle, qu’il soit le père de la politique et de la civilisation allemandes. — Il est intéressant de trouver ces points d’exclamation, sans lesquels aujourd’hui nul n’est vraiment philosophe, concentrés et accumulés en un petit nombre de pages, avec une assurance étonnante, une exagération déclamatoire qui laisse bien loin derrière elle tout ce que l’on pourrait rêver, et ce ton particulier de pédantisme dithyrambique que l’on aurait peine à trouver ailleurs que dans un discours officiel allemand.

Nous n’avons point à nous occuper des pages lyriques du début, où M. Cohen chante le roi et empereur, « incarnation de l’idée de l’unité nationale, » monarque idolâtré du peuple allemand prosterné autour de son trône, dans l’attitude de l’adoration la plus humble, les regards chargés d’amour et de vénération. — Nous n’oserions dire à M. Cohen, Ce que qui n’est pas idéaliste, que son portrait est un peu flatté. — M. Cohen veut rappeler, c’est l’influence exercée par Kant sur la culture allemande ; ce qui justifie l’à-propos de cet éloge, c’est que notre année courante est anniversaire de celle où parurent les Prolégomènes à toute métaphysique future.

Kant se proposait, en composant cet ouvrage, d’écrire l’introduction méthodique à toute métaphysique scientifique : en quoi il a admirablement réussi. L’universalité des lois de la nature, érigée, depuis Galilée et Newton, en principe de la science moderne, la cohérence parfaite et l’unité systématique du monde, proclamée par Newton, préparaient cette grande pensée de Kant : « que le système du monde est la disposition du système de la raison. » — La philosophie est à la science ce que la poésie est au mythe : elle lui donne la connaissance de ses moyens et de son but, et la conscience de ses limites. Comment la science de la nature est-elle possible, quelles sont les conditions de la connaissance et les principes sur lesquels elle repose, ce sont là les problèmes d’une philosophie scientifique. « Quest-ce que la science ? » se demande Kant, après Platon, Descartes et Leibnitz ; et cette question, il la résout pour jamais. — La science mathématique doit ses progrès à Kant, les erreurs et les difficultés où elle s’est engagée (Gauss, Riemann) à l’abandon des principes de Kant. La science descriptive de la nature ne dérive pas moins de Kant. Il a donné leurs solutions aux problèmes d’anthropologie et de science organique : Kant a fait Jean Müller, Kant a fait Goethe, Kant a fait Darwin. Kant a donné leurs méthodes à la morphologie, à l’anatomie, à la physiologie.

Par son style, Kant a eu une action autrement large que Klopstock Lessing, Winckelmann. Schiller ni Platon n’ont écrit aussi bien que Kant