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appeler, qu’on appelle la médecine des gymnases[1]. — Or, de cette publicité et, si je puis le dire, de cette laïcité des écoles médicales issues de la gymnastique et de la philosophie, résulte cette chose grave. Soit entraînement, soit nécessité de lutter contre une rivalité menaçante, les Asclépions, jusque-là hermétiquement clos, s’ouvrent, et les Asclépiades, jusque-là sédentaires, en sortent, pour aller de ville en ville, de maison en maison, exercer la médecine au grand jour. Les voiles se déchirent, et l’ancienne médecine, celle de la tradition, se sécularise. De là trois grandes écoles médicales, trois écoles asclépiadéennes, celle de Rhodes, celle de Cnide, celle de Cos. C’est l’âge des écoles ; c’est la jeunesse de la médecine grecque, maintenant émancipée[2].

Puis Alexandrie se fonde, aux confins de deux mondes et de deux civilisations ; les Ptolémées y rassemblent des livres et des collections, y créent la bibliothèque et le musée, appellent les philosophes, les savants, qui accourent ; un grand mouvement intellectuel nait, se développe, se propage. La médecine en reçoit une impulsion nouvelle. Le génie des anciennes écoles de Cnide et de Cos se rallume plus ardent en ce vaste et brûlant foyer, et leurs doctrines contraires s’accusent avec plus de netteté et de force, en s’opposant et se combattant. L’empirisme et le dogmatisme, armés de toutes pièces, se mesurent, s’enlacent, comme deux athlètes, tour à tour vaincus et vainqueurs. Un troisième lutteur paraît enfin dans l’arène, le méthodisme, issu du scepticisme de Pyrrhon et de l’atomisme d’Epicure. C’est l’âge des sectes ; c’est la virilité de la médecine grecque, enfin scientifique.

Or, si vous mettez à part la médecine exclusivement religieuse du premier âge, et la médecine exclusivement pratique des gymnases, vous constaterez partout une alliance perpétuelle, intime, entre la médecine et la philosophie.

Peut-être y aurait-il lieu, même dans la médecine des gymnases, de chercher quelque idée philosophique ou du moins morale. C’est ce que donne à penser un passage remarquable[3] où Platon blâme Hérodicus d’avoir employé les exercices et le régime à prolonger la vie des valétudinaires. Cet art de faire vivre des gens qui n’en ont pas la force, de quelle utilité est-il à l’État ? À ce point de vue tout républicain, qui est celui de l’antiquité, Hérodicus a-t-il songé à opposer le point de vue, qui sera le nôtre, de l’individu

  1. Sprengel, Hist. de la méd., t.  I, pp. 273-275.
  2. Littré, ibid., pp. 6, 9.
  3. Édition Charpentier, t.  VII, p. 173 et suiv.