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CHAUVET. — la médecine grecque

rendu sacré par sa qualité d’agent moral ? Nul doute qu’il n’ait été conduit par le soin de sa santé chancelante à se préoccuper de celle de ses pareils ; mais, une fois sur cette voie, il n’est pas impossible que lui ou quelqu’un des siens se soient élevés à une conception qu’il est si naturel d’y rencontrer.

Mais où il n’est pas douteux que la philosophie ait sa place au sein de la médecine, c’est dans les écoles médicales issues de la philosophie, notamment dans celle que Galien appelle italique[1] et qui comprend les écoles de Crotone et d’Agrigente.

L’école de Crotone, la plus célèbre de toutes du temps d’Hérodote, qui l’affirme et qui devait le savoir[2], ayant son siège au siège même du pythagorisme, fille du pythagorisme, ne pouvait pas ne pas être toute pénétrée de philosophie et de philosophie pythagoricienne. Le peu que l’on sait de Démocède ne nous apprend rien à cet égard ; mais un renseignement sur Alcméon nous est une lueur dans ces obscurités. Alcméon définissait la santé « l’harmonie » et la maladie « la discordance ». Sprengel veut qu’il s’agisse de l’harmonie et de la discordance des fonctions[3] ; mais j’en croirais plutôt, quoi qu’il dise, Stobée[4] et Plutarque[5], qui entendent l’harmonie et la discordance des qualités élémentaires : le sec et l’humide, le chaud et le froid, l’amer et le doux. Comme l’observe Littré[6], ces oppositions étaient connues dès ce temps-là. Quoi qu’il en soit, cette harmonie et cette discordance sont toutes pythagoriciennes et laissent deviner un philosophe de cette école dans le médecin Alcméon[7].

L’école d’Agrigente ne paraît pas moins imbue de philosophie. Epicharme, né à Cos, mais qui passa sa vie en Sicile, nous est donné comme un disciple de Pythagore, et l’on trouverait sans doute des traces de pythagorisme dans ses ouvrages de médecine, s’il en restait quelque chose[8]. Il est permis de croire que Pausanias, ami d’Empédocle, en partageait jusqu’à un certain point les idées philosophiques[9]. Quand à Acron, également contemporain d’Empédocle, mais son rival, quelques-uns en font un pythagoricien, tandis que

  1. Littré, ibid., p. 16.
  2. Exilé dans la Grande Grèce, il composait son histoire à Thurium.
  3. Hist. de la méd., t.  1, p. 243.
  4. Disc., 99, p. 542.
  5. Phys. phil. decret., l. V. ch.  30.
  6. Ibid., p. 14.
  7. Diog. Laerce (Vie d’Alcméon) fait d’Alcméon un disciple de Pythagore lui-même et dit que, suivant lui, toutes les choses humaines sont doubles, ce qui semble bien se rapporter à l’opposition des qualités élémentaires.
  8. Diog. Laerc., VIII, Epicharme ; Pline, Hist. nat., l. XX, ch.  2. Non seulement ces ouvrages sont perdus, mais aucun auteur n’en cite de passages.
  9. Houdart, Hist de la méd. grec.