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ne cite qu’un seul, Apollonidès. Voilà une singulière lacune. Et puis, les noms propres ne sont pas tout, il y a les doctrines et les œuvres où elles sont consignées. Or il est absolument impossible de partager ce qui subsiste des théories et des écrits de la médecine de Cos entre les divers membres, soit de l’école, soit de la famille d’Hippocrate. C’est tout au plus si l’on peut attribuer à Polybe les deux traités De la nature humaine et Du régime des gens en santé. Il est arrivé ceci : Hippocrate a jeté un tel éclat que sa famille a fini par absorber l’école, et lui sa famille. Il est devenu à lui seul toute la médecine de Cos. On lui a tout rapporté. Les ouvrages de sa famille et de son école sont devenus ses propres ouvrages. Et c’est là la Collection hippocratique, du moins dans ce qu’elle a de vraiment hippocratique.

À cette distance où nous sommes, l’Hippocrate de la tradition n’est donc pas l’Hippocrate de la réalité. C’est moins un individu qu’une famille, moins une famille qu’une école. C’est un cycle. Et il ne faut pas oublier qu’en lisant Hippocrate, c’est l’école de Cos qu’on lit ; qu’en analysant la philosophie d’Hippocrate, c’est la philosophie de l’école de Cos qu’on analyse.

Or, ainsi compris, Hippocrate allie dans une large mesure la philosophie à la médecine.

Non qu’il se livre, en dehors de la médecine, aux recherches propres aux philosophes. Ce grand médecin sait se montrer grand philosophe sans cesser d’être médecin exclusivement. Sa philosophie, c’est la philosophie de la médecine. Il ne traite pas de la logique en général, mais de la logique du médecin ; ni de la morale en général, mais de la morale du médecin ; ni de la physique en général, mais de la physique du médecin (c’est-à-dire de la physique circonscrite dans les limites de la nature humaine et des choses utiles ou nuisibles à la santé). Il a une logique médicale, une morale médicale, une physique médicale, constituant une philosophie médicale : rien de plus. Il ne sort pas de là. Mais sur ces objets particuliers, nettement définis, il a des vues admirables en des ouvrages profonds.

Dans le traité De l’ancienne médecine, il établit la réalité et l’antiquité de la médecine comme art ; son origine, qu’il place dans l’observation des aliments et de leurs effets, soit sur les gens en santé, soit sur les malades ; sa méthode, qui consiste toute dans l’expérience, laquelle constate les faits, et le raisonnement, lequel on tire les conséquences ; sa condition, qui est de s’abstenir des recherches générales sur la nature, à la manière d’Empédocle, et de se borner à l’étude des rapports des objets à la santé.

Dans la Loi, il traite de la dignité de l’art médical, compromis par