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CHAUVET. — la médecine grecque

l’esprit philosophique, ou ne traitent pas par occasion seulement telle ou telle question philosophique, comme l’avaient fait leurs prédécesseurs, Hippocrate en tête ; ils mettent le point de départ et le fondement de leur doctrine médicale dans une doctrine philosophique, ils déduisent la médecine de la philosophie.

Comme il a été dit, c’est Asclépiade qui jette les bases philosophiques du méthodisme. Contemporain et peut-être ami de Lucrèce, venu à Rome en pleine faveur de l’épicuréisme, tous les témoignages nous montrent en lui un disciple d’Épicure. Même conception du monde, même conception de l’homme, corps et âme. Il explique toutes choses par les atomes éternels, leurs rencontres, leurs combinaisons, sans but, sous la seule loi du hasard, qui n’en est pas une. Il explique le corps humain de même manière : ce sont des atomes aussi, qui se sont rencontrés aussi, se sont combinés aussi, et ont formé cet agrégat particulier, ce composé déterminé qui doit sa constitution et ses propriétés à la forme et aux rapports des éléments composants, fortuitement rassemblés. Il explique l’âme de la même manière : ce sont encore des atomes, plus subtils, plus mobiles, dans une agitation et une activité perpétuelles, qui se sépareront comme ils se sont réunis, par aventure[1]. C’est précisément la physique épicurienne, avec la physiologie et la psychologie épicuriennes, ses dépendances.

Mais il y a lieu de croire que Asclépiade ne s’est pas traîné servilement sur les traces d’Épicure. Il a dû avoir son originalité[2]. Galien, dans plusieurs chapitres du traité Des facultés naturelles et du traité De l’usage des parties, nous signale des différences ; Coelius Aurelianus, dans le chapitre 14, l. 1er du De morbis acutis et chronicis, qui est un résumé complet, malheureusement un peu obscur par trop de concision, du système philosophico-médical d’Asclepiade, nous signale des différences. On conçoit d’ailleurs qu’un philosophe-médecin et un médecin-philosophe, regardant les choses avec des préoccupations différentes, tout en professant la même doctrine générale, diffèrent sur des points particuliers, soit par la nature des théories, soit même seulement par leur développement, selon qu’elles intéressent plus ou moins l’objet spécial de leurs études. Et enfin Asclepiade eût-il écrit un traité des éléments (Περὶ στοιχείων), comme l’atteste Galien, s’il eût dû répéter mot à mot son maître Épicure ?

Dès les premiers fondements de la doctrine générale, on entre-

  1. Gal.. De l’us. des part., VI, 13 ; XI, 8 ; XVII, 1 ; Des fac. natur., I, 12, 13. 14. Cœl. Aurel. De morb. acut.. I, 14.
  2. Raynaud, ch.  4, p. 23.