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voit une différence entre Épicure et Asclépiade. « Celui-ci, nous dit Cœlius Aurelianus, avait d’abord établi comme principes des corps les atomes, corpuscules perçus par l’entendement, sans qualité déterminée et originelle, éternellement en mouvement[1]. » Ces corpuscules, connus de l’entendement seul, sans qualités primitives, éternellement mobiles, ce sont bien les atomes d’Épicure[2]. Mais Cœlius Aurelianus ajoute que ces corpuscules se heurtent dans leur marche et, par l’effet de leurs chocs mutuels, se brisent en une infinité de fragments, différents par la grandeur et la figure[3] ; que ces fragments, se mouvant à leur tour, donnent naissance, par adjonction ou conjonction, à toutes les choses sensibles, susceptibles d’un quadruple changement, selon la grandeur, le nombre, la figure et la disposition[4]. Or ces corpuscules qui se brisent en se rencontrant, qui se résolvent en une multitude de fragments, lesquels se meuvent à leur tour et par leurs combinaisons forment les choses sensibles ; ce ne sont plus les atomes d’Épicure, ni même des atomes quelconques. Les corpuscules qui se divisent ne sont pas des éléments indivisibles. Et l’on est amené à se demander si ce n’est pas par inadvertance que Cœlius Aurelianus emploie ici le mot atome, si parfaitement impropre. Galien, dans le traité De l’usage des parties, emploie constamment le mot ὄγκοι (molécules) pour désigner les éléments d’Asclépiade, et ailleurs il lui arrive d’écrire στοιχεῖα ἄναρμα (les éléments inharmoniques). Ces expressions sont aussi justes que celle de Cœlius Aurelianus l’est peu. Je dois toutefois mentionner une conjecture de M. le Dr Raynaud[5] : les ὄγκοι seraient les fragments résultant du choc des corpuscules, les στοιχεῖα ἄναρμα seraient les corpuscules eux-mêmes, et enfin ces derniers supposeraient avant eux les atomes, dont ils seraient les premières et imparfaites combinaisons. Mais les textes ne se prêtent pas à cette interprétation. Ce sont proprement les corpuscules que Cœlius Aurelianus désigne par le mot atomes, et dans

  1. « Primordia namque corporis primo constituerat atomos, corpuscula intellectu sensa, sine ulla qualitate solita, atque ex initio comitata, æternum se moventia. »
  2. Lorsqu’Asclepiade, comme le dit plus loin Cœlius Aurelianus, expliquait que les corpuscules n’ont aucune qualité sensible, disant : « Autre est le tout, autres les parties ; l’argent est blanc en bloc, et noir en poudre, » il était encore en parfaite conformité de pensée avec Épicure.
  3. « Que suo incursu offensa, mutuis ictibus in infinita partium fragmenta solvantur, magnitudina atque schemate differentia. »
  4. « Quœ rursum eundo, sibi adjecta vel conjuncta, omnia faciant sensibilia, aut per magnitudinem sui, aut per multitudinem, aut per schema, aut per ordinem. »
  5. Ch. 4.