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il discute le libre arbitre, le nie formellement, et réfute la doctrine contraire, soutenue par les stoïciens[1]. Non content d’avoir observé l’âme d’une manière générale, il étudie l’habitude, dans son opposition au régime naturel[2] ; le sommeil, dans son opposition à la veille[3], notant avec soin les modifications introduites dans la vie ordinaire par ces deux états nouveaux. Et ces recherches spéciales, il les pousse bien au delà du point où elles intéressent la médecine. — Mais où Galien vogue à pleines voiles dans les eaux de la physique proprement dite, c’est lorsqu’il aborde le problème de l’existence et de la nature de Dieu. Le médecin ne s’efface pas sans doute ; c’est dans la nature humaine, dans la nature organique, dans l’exacte appropriation des organes aux fonctions, qu’il cherche et qu’il recueille les traits divins ; et le traité où il se livre à cette haute recherche est intitulé : De l’usage des parties[4] ; mais cette préoccupation de l’action et de la présence divines, cette attention à suivre la trace de la suprême intelligence dans les détails comme dans l’ensemble de l’organisme cette perpétuelle démonstration de l’ouvrier par l’œuvre, de l’ouvrier parfaitement sage par l’œuvre parfaitement belle, tout cela est d’un médecin supérieur à son art et qui d’un vigoureux coup d’aile s’élève aux sommets de la philosophie. Galien nous apparaît donc encore sur le terrain de la physique doublement philosophe, en médecin et en philosophe désintéressé.

De ces constatations il résulte qu’il y a en Galien tout à fois un médecin-philosophe, en quoi il ressemble à ses devanciers dans la médecine, et un philosophe proprement dit, en quoi il en diffère.

Et c’est ce qui nous explique ce phénomène peu commun dans les fastes de la médecine ancienne et moderne : quoique Galien soit loin d’avoir en philosophie la même originalité et la même supériorité qu’en médecine, c’est cependant le philosophe qui domine le médecin. Galien ne procède pas, selon l’usage des médecins, de la médecine à la philosophie ; il procède au contraire de la philosophie à la médecine. Et cela chronologiquement aussi bien que logiquement. I s’était élevé de l’étude des mathématiques et des arts libéraux à celle de la philosophie, et il eût passé sa vie au sein de cette dernière, sison père, averti par un songe, ne l’eût voué à la science et à la profession médicales. « Sous la discipline d’un père sage et attentif, j’ai d’abord été exercé et nourri dans l’arithmétique, la

  1. Que les mœurs de l’âme, dernier chapitre.
  2. De l’habitude, passim.
  3. Du mouvem. des muscles, II, 5 ; Du diagn. pendant le sommeil ; Du coma.
  4. Voir aussi, Des dogm. d’Hipp., l. IV, ch.  8 et 9, deux passages intéressants sur la Providence divine.