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CHAUVET. — la médecine grecque

grammaire et les arts libéraux, jusqu’à ma quinzième année ; je passai ensuite aux exercices de la dialectique, afin de me mettre en état de vaquer seul aux recherches de la philosophie. J’avais dix-sept ans, lorsqu’un songe très clair signifia à mon père de me mettre sur le chemin de la médecine, que je devais allier à la philosophie[1]. » Je souligne ces derniers mots, aussi justes que précis. Galien allie véritablement la médecine à la philosophie, empruntant toujours à celle-ci les lumières dont il éclaire celle-là. Sa logique médicale n’est qu’une application et un détail de sa logique philosophique, ainsi que tout le prouve, les propres déclarations de Galien, les textes qui nous restent, et l’analogie des deux méthodes, qui ne diffèrent que de la différence du particulier et du général. De même, nul doute que sa morale médicale ne vienne en ligne droite de sa morale philosophique ; et, quant à sa physique, les parties qui touchent de plus près à la médecine ne forment qu’un tout indivisible avec celles qui s’en éloignent le plus. La médecine galénique est partout pénétrée et, si je puis le dire, imprégnée, de la philosophie galénique ; elle y vit et elle en vit.

De là la perpétuelle application de Galien aux recherches et aux exercices philosophiques ; de là ces innombrable traités sur toutes les écoles philosophiques et leurs principaux représentants, lesquels, s’ils n’étaient perdus, nous feraient comme une histoire complète, et combien curieuse de la philosophie[2]. Le philosophe Galien est en même temps un historien de la philosophie, aussi bien que de la médecine. Il a le génie de l’histoire, comme il a le génie de la science. C’est un dernier trait à ajouter à cette grande physionomie.

Tels sont Galien et Hippocrate, telles sont les sectes alexandrines et les écoles de la période grecque proprement dite, telle est, en un mot, la médecine grecque : intimement et perpétuellement unie à la philosophie, elle s’alimente à cette source, s’éclaire à ce foyer et, dans un commerce fécond avec la science universelle, acquiert une force, une étendue, une rigueur systématique singulières. Cet élément philosophique, qui circule en elle comme une sève généreuse, mériterait certainement une étude à part dans nos histoires de la philosophie. C’est une lacune à combler et qui ne peut l’être que par un philosophe.

E. Chauvet.
  1. De l’ordre de mes écrits.
  2. De mes propres écrits, voir les listes de Galien.