Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/273

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
269
BÉNARD. — problème de la division des arts

serpine et des ombres. Les ombres, ce sont les idées esthétiques, ce sont les formes d’un côté, les concepts ou les noumènes de l’autre.

Toute cette critique se résume en ces mots : L’art n’est pas un moyen de transmission ou de communication des idées, analogue à la langue humaine ; il est une langue divine, comme les anciens, dans leur instinct merveilleux, l’avaient deviné et nommé : interpres sacerque deorum (Hor.). Il est une révélation, une manifestation immédiate des idées présentes et vivantes, revêtues de formes elles-mêmes vivantes, ou exprimant la vie, symbolisant la vie, représentant ces idées d’une façon transparente et vivante. Mais l’art, tel que Kant le conçoit et le définit, est l’antipode de l’art.

Aussi la division qui sort de son principe est-elle purement artificielle ; elle finit même par être assez bizarre. D’après ce principe d’analogie, que Kant appelle le plus commode (Kein bequemeste Princip), l’art se partage en trois catégories 1o les arts parlants (Redende), l’éloquence et la poésie ; 2o les arts figuratifs (Bildende), la peinture, la sculpture et l’architecture ; 3o l’art du beau jeu des sensations, la musique et l’art du coloris.

Sans parler de cette adjonction, un peu singulière, du coloris distrait de la peinture et rattaché à la musique, quoi de plus artificiel que cette division, mais aussi de plus logique ? L’éloquence, l’art de la parole, devient ainsi le premier des arts, l’art du beau langage. La musique est reléguée au dernier rang, parce qu’elle n’éveille que des sensations, et le coloris, qui flatte les yeux, vient à sa suite. Kant, il est vrai, établit une autre division celle-ci hiérarchique, où les arts sont évalués d’après leur valeur esthétique. La poésie prend ici le premier rang, l’éloquence passe au second. Pourquoi ? C’est, dit Kant, que la poésie, née du génie, ne se laisse pas diriger par des règles ou par des exemples ; c’est qu’elle met l’imagination en liberté, qu’elle étend et fortifie l’esprit en lui faisant sentir sa faculté libre, tandis que l’art oratoire c’est celui de tromper par de belles paroles aussi bien que d’enseigner la vérité. Cette espèce de dialectique ne s’éloigne de la poésie qu’autant qu’il le faut pour séduire les esprits et leur ôter leur liberté. Dans la poésie, tout est loyal et sincère ; elle se donne pour ce qu’elle est, un simple jeu de l’imagination. Kant ne cache pas son peu de goût pour la supercherie d’un art qui, dit-il, cherche à entrainer les hommes comme des machines. La musique, qui vient après, se trouve réintégrée ; elle le doit aux émotions qu’elle procure. Mais ce rang, elle ne le conserve pas : elle émeut l’esprit d’une manière plus intime et plus variée ; mais elle ne parle que par des sensations sans concepts ; elle est plutôt une jouissance qu’une culture. Ses idées sont associées d’une manière mécanique. Kant n’y voit qu’une asso-