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ciation de pensées et de sensations, et c’est d’après la loi d’association seule qu’elle communique des idées. Kant, on le voit, est fidèle à son principe. Finalement, il la relègue au dernier rang. « Si l’on estime la valeur des beaux-arts d’après la culture qu’ils donnent à l’esprit, la musique occupe le dernier rang entre les beaux-arts, parce qu’elle n’est qu’un jeu de sensations, tandis que par l’agrément elle est la première ». Les arts figuratifs passent avant elle ; ils produisent une œuvre durable, qui est pour l’esprit un véhicule de concepts de l’entendement, ; ils réalisent l’union des concepts avec la sensibilité.

Cette comparaison d’ailleurs, on le sait, finit très mal pour la musique ; on a peine à prendre le grave philosophe au sérieux et à ne pas sourire, quand il déclare que cet art manque d’urbanité. « Par le son de ses instruments, elle étend son action plus loin qu’on ne désire ; elle trouble la liberté de ceux qui ne sont pas de la réunion musicale. »

Ceux qui ont trouvé cette remarque puérile ont trop oublié qu’elle révèle parfaitement l’esprit total de cette théorie, où l’art, assimilé à la parole, a pour but d’entretenir et de développer l’activité de l’esprit. L’art ayant cette destination, pourquoi cet art du beau jeu des sensations, la musique, vient-il troubler l’esprit dans son activité la plus haute, la méditation ?

II

Parmi les esthéticiens qui succèdent à Kant, les uns sont ses adversaires, les autres ses disciples ; d’autres librement le continuent. En tête des premiers, en ce qui concerne la théorie du beau et de l’art, se place Herder, qui dans sa Kalligone, pied à pied le combat et sur tous les points le réfute, non sans relever avec justesse ses défauts ; mais sur une base aussi mobile, aussi subjective que la sienne, celle du sentiment, que pouvait-il édifier lui-même de supérieur à ce qu’il attaque ? Sa division des arts en particulier est encore plus faible et inconsistante. On y voit figurer, à côté des arts du dessin, l’art de s’habiller ou le costume ; dans la catégorie des beaux-arts, la gymnastique et l’escrime. La musique et la danse, oubliées d’abord, apparaissent ensuite sans qu’on saisisse bien s’ils appartiennent où non aux arts libéraux. À peine est indiqué le principe sur lequel repose cette classification. — Nous n’avons rien à demander à Schiller, qui, comme esthéticien, relève de Kant et sur plusieurs points en le continuant le dépasse. Ses écrits d’une haute valeur