Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/275

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
271
BÉNARD. — problème de la division des arts

roulent sur des sujets généraux que Kant avait traités, ou qui se trouvaient indiqués : le beau, le sublime, le pathétique, le tragique, la grâce et la dignité, l’idéal, l’art dans son rôle comme moyen d’éducation esthétique, etc. Sur les arts particuliers, il a laissé à peine quelques vues où la classification des arts est admise sans examen sérieux. Parmi les arts, la poésie seule a bien fixé son attention. Son traité de la poésie naïve et sentimentale offre une division qui, il le dit lui-même, s’étend à tous les arts. Cette distinction du naïf et du sentimental, qui paraît purement psychologique, est surtout historique. C’est l’opposition de l’art antique et de l’art moderne, que l’auteur a voulu ainsi marquer et caractériser comme les deux grandes époques de l’art. On le voit, c’est toujours le côté subjectif qui domine et sert à tracer ces limites.

Il nous serait peu profitable d’interroger d’autres esthéticiens de la même école, comme W. de Humboldt par exemple ou Jean Paul Richter. Ce dernier, placé dans la direction kantienne toute subjective, mais qui emprunte aussi à d’autres (Fichte, Schelling), ne s’est occupé que de la poésie ; sa division en classique, romantique et humoristique révèle le même esprit et la même méthode.

Il peut paraître singulier que nous donnions notre attention et une place plus grande à l’école romantique. Elle, qui méprise souverainement les règles, ne se moque pas moins des divisions ou des subdivisions introduites dans les arts où l’on a la prétention de leur tracer des limites. À ses yeux, cette œuvre de pédantisme, bonne à favoriser la routine, doit être abandonnée aux académiciens et aux pédagogues des diverses écoles.

Fr. de Schlegel, le théoricien de cette école, s’élève contre l’habitude déplorable, selon lui, de diviser les arts en genres et en espèces (in sogenannten Gattungen und Arten in gewisse Bestandtheile). On détruit ainsi l’essence et la vie de l’art (das Leben und Wesen zerstorend). Erreur fatale et destructive de l’unité originelle. Ce qui est originairement un et éternellement un (ewig einst) doit rester un, garder son identité. Le contraire est un vieux préjugé, une habitude surannée. « Là où le haut esprit doit souffler et animer les parties, ne séparez pas, ne distinguez pas. « Cette maladie de séparation est invétérée surtout chez les modernes. C’est la lutte éternelle de l’esprit et de la lettre, de l’invention et de l’exécution dans la philosophie, dans la vie commune et dans l’art (Sämmtl. W. t.  VI, p. 101). » — Mais précisément parce que nous rencontrons ici une opinion contraire à la nôtre, il y a pour nous intérêt à savoir comment elle se motive et croit justifier ses jugements. Il est bon aussi de voir où elle est conduite dans cette voie du subjectivisme où elle est engagée.