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« Philosophiquement parlant, en effet, le romantisme, c’est le subjectivisme. Il y est à son maximum ou à sa plus haute puissance. Son principe n’est autre que celui de Fichte. Le moi y est proclamé le maître, le créateur absolu dans l’art. Les arts, comme l’a dit Kant, sont les arts du génie, et le génie est au-dessus des règles ; il crée les règles (Krit. der Urth.). Il crée, comme Dieu crée l’univers physique et moral, sans qu’aucune puissance supérieure à la sienne ait le droit de lui imposer des lois. C’est ce qui s’appelle la génialité divine. Ici est revendiquée pour l’imagination une liberté absolue et sans limites. Dans le monde de la fantaisie, le monde des formes et des idées, celle-ci, la libre fantaisie, se joue librement. L’artiste est arbitre suprême en tout ce qu’il conçoit, invente, exécute. Il doit tout tirer de lui-même, sauf ses matériaux. Dans l’emploi qu’il en fait, il n’a de règle, de modèle et de direction à recevoir de personne. Libre dans ses allures, toutes les routes lui sont ouvertes ; il les choisit, les suit, les parcoure à ses risques et périls, attentif à éviter les chemins battus. N’attendez donc pas qu’il reconnaisse la moindre valeur à vos divisions de genres et d’espèces.

Les formes générales de l’art, c’est à peine s’il les reconnaît ; il n’y attache pas d’importance, encore moins aux formes particulières comme aux conditions auxquelles chaque art genre ou espèce doit, dit-on, satisfaire et se plier. Ce sont, à ses yeux, des chaînes et des entraves imposées à la liberté de l’art, que le talent et le génie doivent briser.

Ainsi, devant cette liberté absolue de l’art toutes les barrières, s’abaissent, les frontières disparaissent, il n’y a plus de limites. Une seule chose subsiste et doit être maintenue : l’unité de l’art. Le reste est faux ou indifférent. De même que l’affinité des formes et des idées engendre et légitime leur mélange, de même que le laid, le hideux, le difforme, l’horrible et le grotesque, le trivial même, doivent se rencontrer dans l’œuvre d’art à côté du beau, du sublime, du gracieux, du noble, etc., de même les formes plus générales de l’art doivent aussi se mêler, s’unifier, se confondre. Si l’on s’élève à ce point de vue qui les domine, le poète, le musicien, le sculpteur, l’architecte et le peintre se rencontrent, s’assimilent, ne font qu’un seul et même artiste. L’imagination n’est-elle pas la même pour tous ? S’il y a diversité, elle n’est pas originelle. Elle vient de la direction spéciale qu’ils ont suivie, du milieu, de l’éducation etc. Bref, aux yeux du romantisme, toutes les formes de l’art comme toutes les règles particulières s’effacent dans l’universalité de la pensée qui les crée. Tout dépend de la force de l’imagination et de la puissance du talent. Il n’y a qu’un art, comme il n’y a qu’une imagination. Le