Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/277

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
273
BÉNARD. — problème de la division des arts

génie de l’art plane au-dessus de toutes les divisions, comme il se joue de toutes les règles. « L’esprit dans sa glorification et sa transfiguration domine toutes les formes » (Id., ibid.).

Tel est le dernier mot de la théorie romantique. Elle est loin d’être entièrement fausse. Certes il est bon de maintenir la liberté de l’art et, avec elle, son unité, de les rappeler sans cesse quand elles sont oubliées, quand le triomphe de la routine et des règles conventionnelles paraît immobiliser l’art et le stériliser. Il est bon de faire ressortir l’esprit qui pénètre toutes ces formes les féconde et les vivifie. Mais l’erreur très grande est de méconnaître la différence essentielle de ces formes, leurs conditions spéciales, qui elles-mêmes engendrent des règles particulières. Nous n’avons pas à nous étendre là-dessus. Lessing et Winckelmann l’ont suffisamment démontré, l’un et l’autre en exagérant peut-être. Le romantisme a beau faire, ces formes et ces différences subsistent. Il n’est pas vrai que l’imagination du peintre, du sculpteur et du poète soit la même. Le romantisme lui-même est forcé de le reconnaître. Aussi qu’arrive-t-il ? C’est que Fr. de Schlegel, après avoir dit et répété : « Le poète doit être peintre, le sculpteur est poète » (der Mahler soll ein Dichter seyn, etc.), est obligé de revenir sur ses pas et de se contredire. Lui-même finit par adopter et propose une division des arts qui n’est pas sans valeur et pour nous sans intérêt. Placé au point de vue subjectif, il admet un principe qui n’est pas plus solide que les précédents : c’est celui de l’expression du sentiment, le degré de sentimentalité qui répond à chaque art et à sa manière de l’exprimer et de le représenter. Bref, l’expression, la signification spirituelle (das Geistigbedeutende), comme but de l’art, voilà le principe. En première ligne seront placés les arts les plus significatifs ou expressifs du sentiment. La musique y occupe le premier rang. Elle est donnée comme étant l’art de l’âme ou du sentiment. La peinture est l’art de l’esprit ; la sculpture, l’art qui reproduit la forme corporelle. La poésie plane au-dessus des autres arts, comme étant l’art universel qui les réunit. L’idéal des sphères inférieures s’y reflète. Mais c’est le drame qui opère cette fusion ou cette réunion. En lui doivent se retrouver tous les genres et toutes les formes de l’art. — À travers le vague et l’arbitraire de ces divisions, on entrevoit un progrès réel. On sent surtout le voisinage et le contact d’un nouveau système et d’une nouvelle conception de l’art, dont Fr. de Schlegel lui aussi, tout en restant dans la direction opposée, subit malgré lui l’influence, et qui ouvre une autre voie à l’esthétique et à la philosophie de l’art.

Pour fermer ce cycle, celui que parcourt l’idéalisme subjectif, nous dirons quelques mots d’une division qu’a aussi proposée dans son