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esthétique, malheureusement posthume et non achevée, un penseur plus profond et qui a une place beaucoup plus élevée dans la philosophie allemande. Quoiqu’on ait voulu le rattacher à la philosophie nouvelle, dont il a sans doute subi aussi l’influence, F. Schleiermacher, par tout l’esprit de sa doctrine et qui anime ses œuvres, est resté lui aussi dans la voie du subjectivisme. Son esthétique, qui est une philosophie de l’art, offre partout ce caractère. L’art y est défini une des activités essentielles de la nature humaine. L’activité artistique a pour but d’éveiller la conscience totale de la liberté spirituelle, et sous ce rapport l’esthétique est une science morale, une branche de la psychologie et de l’anthropologie. L’art a pour mission d’entretenir le libre jeu de nos facultés, comme l’a dit Kant. La vie esthétique est une des formes de la vie totale de l’humanité. La vie esthétique est différente chez les différents peuples ; il y a un art national qui leur est propre et distinct, qui personnifie l’esprit et le génie de chaque nation. La diversité des goûts et de l’imagination est si grande qu’à ces formes différentes ne peut s’appliquer une règle commune.

Tout cela a sa vérité sans doute ; on ne peut méconnaître le même progrès qui s’opère même dans la conception subjectiviste de l’art, modifiée il est vrai par une autre conception en direction opposée, plus large et plus féconde. Mais comment les arts ici sont-ils classés ? et quelle division va sortir de ce principe ? Les beaux-arts se partagent en trois classes. Les premiers sont les arts d’accompagnement (begleitende), la mimique, la danse, l’orchestique de sorte qu’on n’arrive aux arts véritables qu’après avoir connu les arts accessoires. Viennent en second lieu les arts figuratifs, l’architecture, la peinture, la sculpture : en troisième lieu, la poésie, L’auteur semble avoir oublié la musique. Celle-ci apparaît plus tard.

III

Aucun des esthéticiens que nous avons passés en revue n’a pu en réalité nous dire ce qu’est l’art en lui-même et dans son essence, quelle est sa nature et quel est son objet, quelle est sa fin et quelle mission il est appelé à remplir parmi les autres formes de la pensée humaine.

Dans la période précédente, où le goût, la faculté du beau, a été soumise à une analyse exacte et à une critique rigoureuse, les beaux-arts que Kant appelle avec raison les arts du génie, sont par par lui distingués des arts utiles et de la science. Dans l’imagination s’opère la fusion des deux grandes facultés de l’esprit, la sensibilité