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BÉNARD. — problème de la division des arts

et l’entendement. L’art a pour but d’entretenir le jeu libre des forces de l’âme humaine. L’homme y prend la conscience la plus haute de sa liberté spirituelle. Tout cela est exact sans doute et précieux à constater.

Mais on ne nous dit pas ce qu’est l’art en lui-même quelle est sa nature réelle et objective. On ne sait pas même pourquoi et comment il produit tous ces effets. Il y a plus : après avoir dit qu’il a sa fin en lui-même, et proclamé ainsi son indépendance, on la lui retire ; on en fait un objet d’agrément, ou bien on lui assigne un but moral, ce qui lui ôte sa liberté, en fait un satellite ou un auxiliaire de la morale.

Sur cette base, il est impossible, avons-nous dit, d’établir une véritable distinction des formes essentielles de l’art et de les classer ; on cherche vainement à les coordonner, à construire une échelle où la gradation véritable soit marquée entre les différents arts. Cette échelle, si l’on essaye de la faire, c’est d’après des caractères extérieurs non intrinsèques à l’art, en prenant pour règle de distinction par exemple des sens auxquels les arts s’adressent, ou le caractère moral, sentimental, plus ou moins significatif, symbolique ou le degré de liberté dont chaque art est capable de révéler à l’homme la conscience. Aucun principe solide de division et de classification ne s’offre à nous dans toutes ces divisions.

Pour le trouver, disons-nous, il faut sortir du point de vue subjectif, rétablir l’objectivité dans la connaissance humaine, en particulier et surtout dans la manière d’envisager l’art et ses œuvres.

On connaît les systèmes suivants. La tâche première et principale des auteurs de ces systèmes a été de rétablir l’objectivité que l’idéalisme kantien avait fait disparaître. On sait comment le promoteur de ce mouvement, Schelling, par sa conception de l’absolu, base de son système a cru y parvenir. L’absolu, le premier principe des choses, enferme en lui-même les deux termes de la pensée et de l’existence ; il est l’identité des contraires, du sujet et de l’objet, de l’idéal et du réel, de l’infini et du fini, de la nécessité et de la liberté, etc. Mais cet absolu n’est pas l’unité immobile, il se développe ; en se développant, il se scinde ou se différencie. La loi de son développement est une incessante évolution, où les termes, d’abord confondus au sein de unité, se séparent, s’opposent et se réunissent dans une série d’oppositions, le degré inférieur conduisant à un degré supérieur de plus en plus élevé. Dans ce processus universel est contenu l’univers entier, physique et moral. L’absolu, s’objectivant ainsi, se manifeste et se réalise. Telle est la base métaphysique de ce système, qu’il suffit de rappeler et qui n’a pas changé, malgré