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les variations dans la pensée de l’auteur. Sans en faire l’examen ni la critique, ce qu’il importe ici de constater et de montrer, c’est qu’il en sort une nouvelle conception de la nature et de l’art qui doit conduire à une nouvelle division des arts.

La première face du système (qui lui a fait donner d’abord le nom de philosophie de la nature), c’est une nouvelle manière, en effet, d’envisager la nature, le monde réel physique et moral.

La nature n’y est plus conçue comme un ensemble de phénomènes régis par des lois que lui assigne l’esprit, inconnue qu’elle est tout à fait dans sa partie substantielle, comme « chose en soi », simplement assimilée à l’esprit, qui l’a gratifiée de ses formes. Elle est la manifestation du principe actif et vivant qui agit en elle, qui est présent ou immanent en elle, qui incessamment s’y réalise et s’y développe. Ce principe crée ou produit des êtres d’une diversité infinie et répand ainsi partout la vie et l’intelligence. La nature recèle dans son sein des forces, des puissances (Potenzen), des activités qui s’y développent sans cesse sous une infinie variété d’êtres et de formes. La pensée et la vie y sont à tous les degrés. Partout se réalisent des germes, des types, des modèles, des idées. Elle devient ainsi elle-même vivante et animée ; elle l’est dans tous les règnes, dans son ensemble et dans toutes ses parties. De l’étoile au minéral, du minéral à la plante, de la plante à l’animal et à l’homme, la chaîne vivante n’est jamais interrompue. Elle-même, la nature est une œuvre divine, l’œuvre d’un artiste qui en elle incessamment travaille et qui, dans ses productions, réalise des types, des idées virtuellement contenues dans sa pensée. Ainsi rien n’est mort, tout est animé, tout s’organise ou tend à s’organiser. Il n’y a pas de saut brusque dans la création. Au monde physique, où tout est fatal, succède le monde moral ou de l’activité libre, sans interruption. Dans le monde moral lui-même, l’esprit qui s’y développe acquiert la conscience de lui-même sous les formes que revêt l’humanité dans sa marche successive à travers les siècles et qui sont les époques de l’histoire et de la civilisation.

La nature ou le monde réel ainsi compris, qu’est-ce que l’art et quelle est son idée ? L’art est une manifestation plus haute de l’absolu par l’intermédiaire de l’esprit humain qui le crée par son activité libre. Il est une seconde nature, que l’homme, en qui apparaît et se révèle l’esprit divin, ajoute à la première. Il est homo additus naturæ, dirait Bacon dans un sens plus élevé. C’est une nature idéalisée, glorifiée, transfigurée. L’homme qui le crée par son activité libre le fait afin de se donner à lui-même la vue plus claire de ce qui déjà lui est révélé dans le monde réel. Dans l’art se rencontrent les deux activités, dont l’une seulement apparaît dans la nature, l’activité