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BÉNARD. — problème de la division des arts

inconsciente et fatale. L’activité libre s’y ajoute et s’identifie avec elle. Cette rencontre des deux activités a lieu dans le génie qui crée les œuvres d’art à la fois avec conscience et sans conscience, librement et fatalement ; car, sachant ce qu’il fait, il est incapable de se rendre un compte exact de son mode d’agir et de ce qui est le fond inépuisable de ses œuvres, ce qui est le caractère de l’inspiration. L’art est donc une manifestation, une révélation (Offenbarung). C’est une réalisation plus haute des idées qui déjà sont plus obscurément et plus confusément dans la nature, dispersées qu’elles sont dans une infinité d’êtres, ici apparaissant dans un miroir, l’esprit humain, capable de concentrer les rayons de cette lumière diffuse. L’art, c’est le spectacle que l’esprit se donne à lui-même d’un monde invisible et pourtant visible, de l’idée visible hors de lui mais plus ou moins offusquée sous des formes sensibles. Il y est invinciblement poussé par le besoin qu’il a de se représenter et de se révéler à lui-même ce qui est le fond de toute existence, ce qui surtout est celui de sa propre nature, ce que celle-ci en elle-même recèle et tend à développer, ses idées, ses sentiments, ses passions, ses modes d’activité, de s’en former un vivant tableau qui les idéalise. Tel est l’art, dont la formule aujourd’hui généralement admise est celle-ci : « la représentation des idées sous des formes sensibles. »

Si telle est la nature de l’art, quel est son but ? Ce but, c’est cette manifestation elle-même. L’art est sa propre fin, comme l’a fort bien dit Kant, sans pouvoir l’expliquer. Il donne à voir et à mieux voir ce que l’homme voit mal ou ne voit pas assez clairement dans le réel lui-même. Il est un spectacle ; mais dans ce spectacle apparaît le principe idéal et divin qui anime les choses. Ce n’est point ce vain spectacle qui nous serait donné s’il se bornait à reproduire ou à imiter le réel détaché de l’idéal, à nous montrer les objets dont les sens se repaissent, à fabriquer des images vides et insignifiantes ou à étaler sous nos yeux de vulgaires et impures réalités.

Dès lors s’expliquent et se résolvent toutes les questions précédentes non jusqu’ici résolues. L’art est, disons-nous, une révélation. À ce titre, il vient se placer à côté des formes les plus hautes de l’intelligence humaine, de la religion, de la science, de la philosophie. L’art est libre, car il a sa fin en lui-même ; sa liberté comme sa dignité lui est assurée, même quand il travaille au service d’autres puissances, la religion, la science, etc. Ses effets aussi se comprennent, d’abord la jouissance pure et désintéressée qu’il procure, l’accord qu’il établit entre les puissances de l’âme, la raison et la sensibilité, unis par un lien d’indissoluble harmonie. Il produit l’harmonie dans l’âme, parce que cette harmonie est ou doit être dans les choses