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et qu’elle se révèle encore au milieu des plus terribles désaccords et des plus plus grandes oppositions. L’art nous donne la conscience de notre liberté spirituelle et nous fait goûter une sorte de sérénité dans le spectacle des plus terribles épreuves. Il est une distraction aux chagrins et aux soucis de la vie ; il transporte l’esprit dans une région idéale. Il enseigne, il moralise, il édifie, mais cela par la seule vertu qui est en lui, qui réside en lui, non comme moyen, comme instrument. Il n’est pas l’imitateur servile ou le copiste de la nature, mais il est son interprète et son rival. Il rivalise avec elle, la surpasse même dans le champ qui lui est propre, celui de la représentation sensible des idées. Il lui emprunte ses formes et ne les copie pas. Il est une langue, mais non une langue abstraite, propre à transmettre des idées, mais une langue divine, révélatrice des idées divines. — Ainsi se résolvent toutes les énigmes tout à l’heure insolubles.

Nous n’entendons nullement adopter sans réserves le système d’où cette conception de l’art est sortie ; nous lui laissons ses côtés faux, ses exagérations, son apothéose de l’art, qu’il place au sommet de la pensée ; nous laissons aussi à l’auteur et à ses disciples leur langage inspiré et enthousiaste. Pour nous, analysant froidement cette conception nouvelle de l’art, nous devons examiner si l’on y trouve le principe qui jusqu’ici a fait défaut, qui doit servir à la division des beaux-arts et permettre d’en établir le système.

Puisque l’art est une manifestation (Erscheinung) de la vérité sous des formes sensibles, il y a deux termes à considérer dans cette manifestation, et de plus leur rapport réel et constitutif ; il y a à les suivre dans leur développement successif, alternatif et progressif.

Ces deux termes sont : 1o l’idée manifestée ; 2o la forme qui la manifeste, plus le lien d’indissoluble unité qui doit les unir et qui caractérise l’œuvre d’art. L’un est l’idéal même, mais inséparable du réel ; l’autre est le réel, mais le réel idéalisé lui-même et ainsi rendu capable de manifester l’idée.

L’un des deux termes est supérieur à l’autre ; mais a besoin de l’autre, qui lui est nécessaire. Le terme supérieur est l’esprit lui-même qui doit se révéler et se montrer, apparaître et se dévoiler de plus en plus sous des formes sensibles et réelles, nécessaires pour le manifester.

Si nous appliquons ceci aux formes de l’art qui constituent les arts particuliers, sur-le-champ apparaît le principe de division qui doit servir à les classer, à marquer leur ordre de succession, leur place, leur rang, à construire une échelle des arts.

Tous les arts se ressemblent, comme ayant un objet commun, celui de manifester l’idéal par des formes sensibles empruntées au monde