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BÉNARD. — problème de la division des arts

réel et elles-mêmes idéalisées. Ils diffèrent par ces formes elles-mêmes, par le mode de représentation que ces formes imposent ou rendent nécessaires à chacun des arts, lignes, formes, couleurs, sons, langage articulé etc.

Chaque art, en vertu de son mode propre de représentation, des matériaux qu’il emploie, etc., est capable de représenter de l’idéal commun une portion ou un degré plus ou moins élevé mais limité qui lui est dévolu et qui lui appartient, qu’il excelle à représenter et qui fait sa supériorité. Cet idéal est plus ou moins avancé ; ces formes sont plus ou moins elles-mêmes parfaites, plus ou moins naturelles ou immatérielles, éloignées ou rapprochées de l’idéal le plus élevé, qui est l’esprit lui-même, dans sa nature la plus complète et la plus développée. L’esprit, dans la totalité de ses idées, sentiments, manifestations et actes, est toujours le plus haut idéal.

Comme lavaient entrevu Aristote et après lui beaucoup d’autres, c’est bien le mode de représentation, la différence des matériaux de chaque art, qui est le principe de différenciation des arts ; mais c’est aussi, c’est surtout le degré d’idéal que chaque art à l’aide de ces matériaux est capable de représenter, qui est ici la base première ou le point fixe à déterminer. Car, il faut le répéter, il y a bien un idéal commun, mais aussi un idéal particulier, je veux dire un degré de l’idéal qu’il est donné à chaque art d’atteindre, qu’il excelle à exprimer, mais qu’il ne peut franchir ou dépasser, par où il reste lui-même et est supérieur, mais par où il est ou peut être inférieur aux autres. Il s’établit ainsi une gradation naturelle entre les arts, qui révèle et fait ressortir leur nature, leur affinité et leur hétérogénéité, leurs conditions, leurs limites, leurs règles les plus générales et les plus fixes.

L’opposition des deux termes, leur réciprocité et leur développement sont marqués dans cette gradation successive. Cette lutte c’est la lutte de la nature et de l’esprit, de la forme et de l’idée, et cette lutte s’accuse de plus en plus à mesure que l’on s’élève dans l’échelle des arts. Plus un art est élevé par son idéal, plus ses formes sont spirituelles, plus l’esprit qui y apparaît exige et se crée à lui-même des formes qui lui correspondent et le manifestent. Il y a opposition, mais aussi conciliation dans cette marche progressive. Le degré d’idéalisation où de spiritualisation augmente à chaque degré ; la puissance représentative devient de plus en plus grande, plus étendue, sans que jamais toutefois l’art puisse se dégager de la forme sensible, ni affecter la forme d’abstraction pure qui le ferait s’évanouir et s’absorber dans une autre forme, celle de la pensée pure, de la science ou de la religion, etc.