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Tel est le principe qui doit servir à classer les arts et permettre d’en organiser le système.

Ceci est le point capital, comme le pivot sur lequel roule toute notre étude. Il convient d’y insister et de le préciser encore, sauf à nous répéter.

Il y a, disons-nous, une idéalisation ou spiritualisation progressive des formes de l’art, correspondant aux degrés de l’idéal que ces formes contiennent et représentent. Les deux termes coïncident et se succèdent dans la série des arts qui emploient ces formes. Ainsi l’idéal de la peinture n’est pas l’idéal de la sculpture, ni l’idéal de la sculpture celui de l’architecture, de la musique et de la poésie.

Plus est élémentaire et restreint l’idéal qu’un art doit représenter, plus les formes qu’il emploie pour réaliser cet idéal sont elles-mêmes restreintes ou matérielles, incapables de représenter l’esprit dans sa vraie nature spirituelle, avec toutes ses idées, ses sentiments, ses manifestations et son action ; moins son rang est élevé malgré l’excellence et la supériorité à d’autres égards.

Plus un art est capable par la nature de ses formes, leur variété, leur puissance expressive de manifester et de symboliser l’esprit ou l’idéal spirituel, d’exprimer tous ses sentiments, ses passions, sa vie, ses idées, de le suivre dans le déploiement total de ses puissances et de son activité, plus il est haut placé dans la hiérarchie des arts.

Là est le vrai criterium, la mesure fixe pour marquer la gradation des arts, établir une série qui les range dans un ordre le plus naturel et le plus propre à montrer leurs vrais rapports, leurs différences et leur mutualité.

Les arts conservent néanmoins leur unité. Tous empruntent à la nature les formes dont ils ont besoin pour représenter d’une manière sensible l’idéal ou le degré d’idéal qu’il leur est donné d’atteindre et de manifester. C’est la diversité des matériaux et des moyens ou des instruments employés qui fait entre eux la diversité. Et cette différence est grande, essentielle, caractéristique. Cela sans doute n’a échappé ni à Aristote ni à aucun de ceux qui l’ont suivi ou précédé. Mais comment classer ces formes si l’on n’en voit ni le contenu, ni le rapport avec l’idée qu’ils révèlent et contiennent ; si, par exemple, cette idée elle-même est niée ou méconnue, si la forme n’est pas mieux comprise comme telle, ou si elle n’est regardée que comme accessoire ou simple signe, si le rapport des deux termes échappe, s’il est faussé dans un symbolisme abstrait, etc. ? La classification sera impossible, ou fausse, ou arbitraire et superficielle.

Aucune règle ni principe de division n’en peut sortir ; aucune coordination précise s’établir. C’est au contraire ce qui devient clair et