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À la fois platonicien, kantien, mais surtout inspiré par la philosophie nouvelle, Krause à exposé un système dont on aurait tort de méconnaître la valeur originale et le caractère élevé ; il n’a pas été sans influence, et les mérites supérieurs de ses écrits ont valu à son auteur beaucoup d’admirateurs et de nombreux disciples, dont plusieurs lui sont restés fidèles. La manière dont le problème qui nous occupe a été par lui envisagé et traité offre une face nouvelle, qui mérite d’être examinée.

On connaît l’idée fondamentale du système de Krause ; c’est celle d’un organisme universel où toutes les parties de l’univers physique et moral unies par un lien harmonique sont elles-mêmes rattachées à un plus haut principe, l’être ou l’essence absolue, d’où émanent toutes les essences ou essentialités (Wesenheiten). Au sein de la diversité et de l’opposition, saisir le lien organique qui laisse subsister la diversité, l’indépendance et l’individualité au sein de l’unité, telle est la manière philosophique de considérer les choses, l’objet propre de la philosophie.

Organiser, organisation, organisme, ces mots reviennent sans cesse et forment la devise du système. Cette idée, Krause applique aussi à l’art et aux arts particuliers. La partie principale de son Esthétique est intitulée : L’art comme organisme des arts particuliers (Die Kunst als Organismus der besonderer Künste). L’idée première, qui se trouve déjà, comme nous l’avons montré ailleurs (numéro de mai 1883), dans Schiller, Humboldt, Schleiermacher, c’est que le beau est une des formes essentielles de la vie humaine, comme elle est une des essentialités divines. La vie humaine, individuelle, sociale et humanitaire doit être organisée d’après cette idée, comme elle s’organise sur le modèle du bien et du vrai ; elle s’applique à la vie même, à la vie tout entière, qui devient ainsi une œuvre d’art, « le bel art de la vie ».

L’auteur prend donc à tâche de fixer à l’art sa place et son rang comme organe de la vie universelle. Il y a deux domaines principaux. Le premier est celui de la belle vie de l’individu, dans la société et dans l’humanité. Le second est celui de l’art proprement dit, le monde de l’imagination (Kunst der Phantäsie).

Or quel est le principe de cette organisation des arts particuliers (Ein Theilungsgrund, p. 207) ? C’est, dit Krause, l’idée même de la beauté comme principe interne ou essence même de l’art. Aussi la division des arts particuliers doit se diriger d’après organisation intérieure de l’idée de beauté.

Ce principe, quel est-il ? C’est, nous dit Krause : « le degré d’idéalisation » que présente chaque art. En vertu de ce principe, la poésie,