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BÉNARD. — problème de la division des arts

avons-nous dit, celui qui a été émis et déjà appliqué par les esthéticiens antérieurs, le principe de l’idéalisation progressive ou le degré de spiritualisation des formes de l’art et des matériaux dont chaque art doit se servir pour la représentation des idées et de l’idéal particulier.

Ce principe doit servir de mesure et fixer la place de chaque art et son rôle, marquer ainsi la gradation successive de ces formes essentielles, qui sont les arts particuliers. Comment est-il appliqué par Hegel dans cette partie de son système ? Le processus s’établit de la manière suivante :

1o Au premier degré se place l’architecture. Pourquoi ? C’est que, malgré ses avantages, le caractère imposant de ses monuments, etc., elle est l’art le plus matériel, le moins expressif, le plus abstrait ou le plus simple des arts. Elle est attachée à la matière pesante, assujettie à des règles abstraites qui sont des lois mathématiques ; elle façonne des masses inorganiques selon les lois du nombre, de la proportion de l’eurythmie. Elle est l’art symbolique ; l’objet qu’elle offre à l’esprit n’est qu’un simple reflet des idées, une image muette, vague et énigmatique. Le lien qui incorpore l’idée à la forme est un lien encore plus ou moins extérieur. Elle joint à son caractère d’expression symbolique un but utile. « L’architecture, en général, n’est capable d’exprimer les idées qui résident dans ses œuvres que par un appareil de formes matérielles que l’esprit n’anime pas et qui lui sert d’abri ou d’ornement.

2o Avec la sculpture, l’art passe à un degré supérieur. Ici, l’idée fait une alliance plus étroite et plus intime avec la forme. L’art abandonne le règne inorganique pour passer dans un autre règne, le règne organique, où apparaît, avec la vie, l’esprit. Sur ce chemin que parcourt l’esprit en se détachant de l’existence matérielle, l’esprit prend conscience de lui-même ; mais il ne se saisit d’abord qu’autant qu’il s’exprime encore par l’action totale corporelle. La forme matérielle ici est encore complète ; c’est le corps avec ses trois dimensions, mais animé, organisé, vivant. La vie apparaît et, avec la vie, l’esprit ; c’est donc un plus haut idéal qui est exprimé. L’accord parfait s’établit entre les deux termes dans une parfaite harmonie. L’idéal de cet art, c’est déjà le divin. La forme est la forme humaine, belle, majestueuse ; la beauté plastique dans le corps entier, avec ses belles formes, ses belles proportions, son attitude, ses airs, son maintien. La beauté à la fois corporelle et spirituelle, en accord parfait, mais dans les limites où cet accord est possible : tel est l’idéal classique que les Grecs ont réalisé. La partie consacrée à la sculpture, où Hegel développe cette idée, est du plus haut intérêt.