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produits d’un être intelligent, elle a cru devoir chercher un fondement solide, comme Descartes, sur le roc et l’argile, et s’est attachée à un fait réel, concret et cependant entièrement connu, un fait véritablement primitif, puisque tant que celui-là n’est pas donné, il n’y en a pas d’autres, notre existence actuelle telle qu’elle est dans la conscience que nous en avons. »

M. Jeanmaire passe alors à l’examen détaillé des théories de divers philosophes, en commençant par ceux qui se rattachent plus ou moins à Hume. Il examine successivement le système de Hume et de Stuart Mill, puis de Spencer, de Bain, de M. Taine ; il passe ensuite à Kant, Fichte, Schelling, Hegel, Schopenhauer, M. de Hartmann, Herbart, Wundt, M. Renouvier ; enfin viennent les doctrines dans lesquelles le moi est une activité vivante ; ici, nous trouvons ou retrouvons Maine de Biran, Ampère, Jouffroy et M. Louis Ferri.

Il faut remarquer que M. Jeanmaire, quelques réserves que lon puisse faire d’ailleurs, comme nous le verrons plus tard, s’occupe plutôt de psychologie que de métaphysique. Le moi qu’il envisage est le moi que l’expérience nous révèle. Cette remarque peut prévenir des objections que l’on aurait pu faire à sa classification. Au point de vue de la psychologie empirique, il est incontestable par exemple que Spencer se rattache à Hume (qu’on se rappelle seulement la théorie des états forts et des états faibles, qui joue un si grand rôle dans la délimitation du domaine subjectif) ; au point de vue de l’explication métaphysique, ces deux philosophes diffèrent autant qu’il est possible, Hume ne cherche rien par delà les phénomènes, Spencer explique tous les phénomènes par l’action de la substance inconnaissable dont ils sont les manifestations. À ce point de vue, ce n’est pas M. Spencer qu’il faudrait rattacher à Hume, ce serait plutôt M. Renouvier, qui a débarrassé d’une partie de sa métaphysique le criticisme de Kant.

Nous arrivons maintenant aux idées personnelles de M. Jeanmaire. Elles sont éparses çà et là sous forme de critiques adressées aux diverses théories exposées par l’auteur, et à la fin de l’ouvrage deux ou trois chapitres leur sont, en outre, spécialement consacrés.

Dans une étude de psychologie, dans une étude faite surtout au point de vue historique et critique, M. Jeanmaire n’avait évidemment pas à développer un système complet de philosophie. Cependant il est bien difficile, en parlant du moi et de la personnalité, de ne pas verser dans la métaphysique. Ajoutons que s’abstenir entièrement de métaphysique, en un pareil sujet, si c’est possible, ce que l’on contestera, c’est encore montrer d’une manière presque évidente ses opinions sur certains points de métaphysique ou de critique générale. M. Jeanmaire a bien fait quelques efforts pour ne pas se laisser entraîner sur le terrain de la métaphysique en ne s’occupant pas de la cause absolue en soi, de la personnalité, il s’est laissé engager sur ce terrain cependant, d’une manière qu’il faut examiner de près.

M. Jeanmaire paraît quelquefois rejeter à peu près complètement la