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ANALYSES.jeanmaire. L’idée de la personnalité.

réalité de la substance. Voici à ce sujet deux passages assez significatifs tirés de l’examen que fait l’auteur de la critique de Kant :

« Je n’examinerai pas s’il n’y a pas contradiction à vouloir aller jusqu’à des choses en soi, pour trouver des réalités, comme si des êtres pouvaient exister sans exister par une pensée réelle ou possible, dût cette pensée être d’une nature plus puissante que la nôtre, ce qui veut dire qu’un être réel n’est jamais qu’un être connu ou connaissable, que la réalité la plus vraie est celle qui serait saisie par l’intelligence la plus parfaite, que même alors il n’aurait d’être qu’autant qu’il serait l’objet d’une intelligence et non une chose en soi, qu’en fin de compte une chose en soi est un mot vide de sens… » (P. 116.)

Ce passage est précédé de cette phrase qu’il faut remarquer où l’auteur dit, toujours en parlant de Kant : « Entre les êtres connus seulement tels qu’ils apparaissent et les êtres tels qu’ils sont, il s’imagine qu’il n’y a rien. » (P. 244.)

Cette phrase indique toute la théorie de M. Jeanmaire et résume une partie de ses opinions sur le moi

Voici le second passage (p. 120) ; il nous indique encore l’idée que se fait M. Jeanmaire du monde des réalités, tout en rejetant ou en paraissant bien rejeter la réalité substantielle :

« C’est donc dans son existence connue et consciente (du moi) qu’il faut chercher sa réalité ; ce n’est ni dans un monde sensible où il n’y aurait que des phénomènes, ni dans un monde intelligible peuplé de noumènes inconnus, mais dans le monde de la pensée et de l’activité consciente, qui est un intermédiaire entre les deux autres et qui participe de l’un et de l’autre. Peut-être cette réalité n’est-elle pas celle d’une substance et peut-être est-ce pour cette raison que Kant n’a pas cru pouvoir s’y arrêter. Il serait étrange que ce puissant et profond critique, qui a marqué d’une main si sûre les principales causes d’illusion de la métaphysique, ne se fût pas tenu en garde contre l’influence funeste de cette idée de substance qui a égaré tant de métaphysiciens. »

Le moi nouménal est donc rejeté par M. Jeanmaire. Que reste-t-il alors, sinon un moi collection des phénomènes ou loi des phénomènes ? M. Jeanmaire se prononce cependant avec force contre ces dernières suppositions. Ce n’est pas seulement le phénoménisme empirique de Hume, qu’il repousse et qu’il combat ; c’est encore le phénoménisme rationnel de M. Renouvier, dont il ne peut approuver le point de départ.

« En disant que pour notre raison nous sommes un phénomène, M. Renouvier veut dire que nous sommes une représentation, que notre existence n’est rien qu’en tant que représentée. Pour que cette assertion soit vraie, il faudrait qu’il fût bien établi qu’aucun fait, aucune existence, aucune réalité ne peut nous être donnée qu’à travers la représentation et dans la représentation. M. Renouvier l’a-t-il démontré ? Son argumentation se réduit en somme au raisonnement suivant : Une chose n’existe pour nous qu’en tant qu’elle est représentée ou peut l’être ; en dehors de nos représentations réelles ou possibles, il n’y a