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donc rien pour nous, puisque nous ne le connaissons pas. Ce qui revient à dire : Toutes les choses réelles étant représentables, ce qui n’est pas représentable n’est pas réel.

« Je suis obligé d’avouer que cette assertion n’a pas pour moi l’évidence d’un axiome. Je voudrais savoir d’abord d’une manière très précise ce qu’on doit entendre par représentable. Ce mot signifie-t-il ce qui est susceptible d’être donné comme objet à l’imagination ou à l’entendement, d’être réduit en image ou en actions, d’occuper une place distincte dans l’ordre sensible ou dans l’ordre intelligible de l’univers ? Mais alors il y aurait beaucoup de choses réelles qui ne seraient pas représentables. Pouvons-nous considérer comme objets imaginables ou intelligibles l’infini, le beau, le vouloir, le sujet conscient ? Notre imagination se représente-t-elle l’unité qui est conçue par l’entendement, et notre entendement comprend-il le continu, qui est représenté par l’imagination ? Il y a donc des choses qui peuvent être connues d’une manière sensible seulement, et d’autres seulement d’une manière intelligible. Tantôt ce sont des images qui ne sauraient se réduire en actions ou concepts ; tantôt des idées régulatrices, des idées modèles, qui ne correspondent à aucune matière sensible ni à aucun contenu intelligible déterminé ; quelquefois encore, des intuitions de la conscience sur lesquelles l’entendement n’a pas plus de prise que l’imagination, et qui sont cependant des faits réels.

« Toutes ces choses sont-elles au même degré des représentations ? En d’autres termes, tout ce qui est senti, perçu, imaginé, remémoré, conçu, entendu, compris, cru, affirmé, aimé, désiré, voulu, présent dans la conscience comme mode ou comme sujet, comme acte ou comme cause, comme tendance ou comme puissance, tout cela est-il également compris parmi les choses représentées ou représentables ? Dans ce cas, il y a des choses représentées ou représentables qui ne sont pas, à proprement parler, connues ni connaissables, qui ne sont pas et ne peuvent pas être en elles-mêmes des objets de la pensée ni des faits intelligibles. De quel droit affirmer alors qu’elles subissent les lois de l’objectivité et les formes des catégories ?

« N’appellera-t-on représentation que les faits qui contiennent la distinction de sujet et d’objet, c’est-à-dire les connaissances véritables ? Alors nous serons obligés de dire que certaines choses sont réellement pour nous sans nous être données dans une représentation, Comment admettre après cela que toutes les choses réelles sont représentables ? Et si le sujet conscient est une des choses qui ne sont pas directement représentables, et que la raison — la représentation éclairée de M. Renouvier — comprenne pourquoi il ne l’est pas, de quel droit affirmera-t-on qu’il n’est qu’un phénomène, ce qui voudrait dire ici qu’il n’est donné que comme représenté. »

Il y aurait beaucoup à dire sur le raisonnement de M. Jeanmaire ; je ne puis ici l’examiner en détail, mais il me paraît que, dans son ensemble, sa critique ne porte pas. « Au sujet du mot représentation,