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ANALYSES.jeanmaire. L’idée de la personnalité.

dit M. Renouvier (Logique, I, 10), il n’est pas inutile d’observer que les philosophes l’ont parfois employé pour désigner une seule ou quelques-unes des formes que peut prendre ce que j’appelle ici représentation ou forme générale de la connaissance. Le mot est trop utile avec son sens universel pour que je consente à m’en priver. On remarquera donc bien que par se représenter je n’entends pas plutôt dire imaginer ou sentir que généraliser, comparer où même désirer, vouloir, etc. »

On voit que nous sommes autorisés à nous placer dans le premier des cas signalés par M. Jeanmaire. En admettant même que, dans ce cas, il y a « des choses représentées ou représentables, qui ne sont pas, à proprement parler, connues ni connaissables, » il faut bien reconnaître au moins que ces choses nous sont données dans une représentation, que nous savons d’elles qu’elles sont représentées, c’est-à-dire qu’elles sont connues en tant que représentations, et, sans cela, comment affirmerions-nous leur existence, et cela nous suffit parfaitement pour soutenir qu’elles sont comme telles soumises aux lois de la représentation, à la loi de relativité et de phénoménalité. Il resterait à examiner si M. Renouvier n’a pas trop étendu le sens du mot connaissance, dans le passage que je viens de citer, mais cela n’importe en rien à la phénoménalité du moi.

La position de M. Jeanmaire paraît, à vrai dire, singulièrement intenable ; il se refuse, pour expliquer le moi, à aller chercher la substance dans les profondeurs de la métaphysique, et cependant il lui faut autre chose que des phénomènes et des lois. Nous avons déjà vu deux passages de son livre qui impliquent cette croyance en une sorte de monde, dont il est difficile d’avoir une idée bien nette, situé entre la substance et les phénomènes et participant de la nature des deux. Voici un autre passage où se trouve affirmée l’existence de ce monde incompréhensible :

« Si nous avons une connaissance immédiate de notre activité intellectuelle (je ne parle pas encore de notre activité volontaire), le sujet de la pensée prend un tout autre caractère. Ce n’est plus un simple sujet logique, une forme sans contenu, une existence sans détermination : c’est une existence déterminable et qui se saisit dans ses propres déterminations, c’est-à-dire dans les actes de sa spontanéité. Ce n’est pas ce que Kant appelle une chose en soi ; cependant c’est déjà une réalité pour l’intelligence aussi bien que pour la conscience. Elle est déterminée par des actes que l’intelligence connaît, aussi bien que par des phénomènes que la sensibilité reflète, Si elle reste sensible par un côté, elle a aussi quelque chose d’intelligible. Elle ne tient plus seulement du phénomène ; elle tient aussi de l’être. »

Voyons encore le passage suivant (p. 241) : « Lors même que le moi ne serait pas une substance, si l’on considère la substance comme une chose en soi, en résulte-t-il qu’il ne soit qu’un phénomène ? Entre la chose en soi et le phénomène, n’y a-t-il aucune autre forme d’existence ?