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Une activité qui serait en puissance en autre chose ne serait pas une chose en soi. Mais si cette activité se connaissait elle-même, du dedans, en tant qu’elle serait en acte, elle ne serait pas non plus un phénomène. »

J’essaye en vain de me représenter ce qu’est cette activité qui se connaîtrait du dedans et en tant qu’elle serait en acte, j’ignore ce que peuvent vouloir dire ces mois : une activité qui se connaît, s’ils n’impliquent pas la vieille et incompréhensible idée de la substance consciente ; si d’ailleurs l’activité n’est qu’un acte ou une série d’actes, nous retombons, il me semble, dans le phénoménisme ; si elle est quelque chose d’autre, je ne vois pas la nécessité de trouver un autre nom que le nom de substance pour désigner ce néant, et je ne vois surtout pas ce que l’on gagnerait au change. Si ce n’est pas une substance, ce doit être au moins une faculté. Mais pourquoi l’activité ne serait-elle pas simplement phénoménale, et ensuite comment pourrait-elle être autre chose que phénoménale. Pour montrer que l’activité, telle qu’il l’indique, n’est pas un phénomène, M. Jeanmaire tâche de définir le phénomène :

« Un phénomène est une chose qui apparaît, c’est-à-dire qui se produit hors de l’être qui en est le témoin et se manifeste extérieurement. En ce sens, les actions d’une personne sont des phénomènes pour quiconque les voit du dehors ; mais, pour moi, les actes que je produis dans ma conscience, les déterminations de mon existence dont j’ai l’initiative, et qui ne sont des déterminations propres et personnelles qu’autant que je les crée, les possède et les pénètre, toutes ces choses sont-elles pour moi des manifestations de réalité contemplée dus dehors, des phénomènes ? ne sont-elles pas tout le contraire ? Kant disait que le moi ne peut être pour lui-même qu’un phénomène, parce qu’il n’a pas le pouvoir de se produire et se trouve donné à lui-même tout produit. Pensée profondément juste, en ce sens qu’elle marque très exactement les conditions à remplir pour être pour soi autre chose qu’un phénomène. Mais, si le moi est en grande partie la cause de son existence propre, la conclusion s’impose : dans ce rapport et dans cette mesure, il n’est point un phénomène. »

On est tenté souvent de se demander s’il y a sous toutes ces discussions autre chose qu’une question de mots, par exemple lorsqu’on voit M. Jeanmaire opposer l’être et le phénomène (dans l’avant-dernier passage cité). Il faut bien reconnaître que l’on donne quelquefois trop d’importance au mot, mais il faut reconnaître aussi qu’il y a une autre question. Admet-on, oui ou non, en dehors des faits et de leurs lois, une cause permanente qui diffère de ses manifestations. Voilà ce qu’il faudrait savoir au juste. Je ne m’attarderai donc pas à discuter la définition du phénomène donnée par M. Jeanmaire, ce qui pourrait nous mener loin, car plusieurs questions longues à traiter y sont intéressées (le dedans et le dehors, la nature de la spontanéité,