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ANALYSES.jeanmaire. L’idée de la personnalité.

la causalité, etc.) ; mais il faut tâcher de voir, si faire se peut, la nature précise du monde métaphysique de M. Jeanmaire.

Comme nous l’avons vu, ce monde est constitué surtout par une « activité ». C’est cette activité qui est la base de la personnalité. Un des derniers chapitres de l’ouvrage porte ce titre, qui est en somme un résumé de la théorie de l’auteur : « La conscience a pour condition un rapport entre une activité proprement personnelle et des activités motrices, sensibles et intellectuelles plus ou moins distinctes du moi. » Tout ce que nous pouvons savoir de cette activité personnelle, c’est qu’elle s’identifie avec ce qu’il y a de proprement personnel en nous, qu’elle produit des actes dont le moi se reconnaît la cause directe. Tout cela ne nous éclaire pas. Nous trouvons ailleurs un long paragraphe sur les rapports du moi avec l’âme ; je le cite, en avouant que je le comprends peu, peut-être sera-t-on plus heureux que moi :

« Quels sont les rapports du moi avec l’âme ? Comment les inclinations, les tendances et les facultés, innées et inhérentes à l’âme, se manifestent-elles dans l’existence du moi ? Comment les affections, les aptitudes, les idées et les croyances acquises par le moi se conservent-elles dans l’âme ? Comment les forces voulues par le premier persistent-elles et lui sont-elles de nouveau présentées d’une manière plus ou moins constantes par la seconde ? Comment le moi reconnait-il l’identité de tous ces faits quand il les revoit ou les reproduit ? Que devient-il lui-même quand il n’a plus le sentiment de soi, pendant les intermittences de la conscience ? Problèmes délicats, qui n’ont été ni résolus ni même posés dans les doctrines que nous avons passées en revue et qui exigent des recherches trop différentes de celles que nous avons faites pour que nous puissions nous-même les aborder ici, Sans doute, nous pouvons dire avec Maine de Biran que le moi est une cause, mais une cause qui dépend d’une autre, laquelle est l’âme. Nous ajouterons même que c’est un être relativement à ses manières d’être, une substance relativement à ses modes ; mais ce n’est pas une substance absolue, un être ayant en soi toutes les conditions d’existence, puisqu’il n’existe que par l’âme, comme inhérent à elle, et qu’il n’est qu’une forme ou plutôt une manifestation partielle de l’existence de l’âme, Au reste, toutes ces formules nous apprennent peu de chose sur les véritables rapports du moi et de l’âme. » (P. 413.)

À moins que M. Jeanmaire ne prenne les mots être et substance dans le sens phénoméniste, ce qui serait en contradiction avec tout le reste de son livre, il faut reconnaître que nous sommes ici en pleine mythologie. Nous voyons reparaître les trois mondes de la psychologie spiritualiste, le monde des phénomènes, le monde des facultés, le monde des substances. Il est regrettable que l’auteur soit arrivé à ce résultat, qui, pour ne pas être neuf, n’en est pas meilleur, après avoir paru s’écarter de la vieille route et après avoir écrit plusieurs pages excellentes, après avoir paru rejeter le noumène comme incompréhensible et après avoir montré en beaucoup d’endroits de la vigueur et de la