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ANALYSES.frohschammer. Philosophie d’Aristote.

tière et la forme dans la gradation infinie des espèces du monde réel. Le procédé capital (Hauptbethätigung) consiste à marier ensemble d’une façon propre, naturelle, la matière et la forme, La génération n’est pas autre chose ; elle consiste à donner une forme à la matière, et en cela elle ressemble vraiment à la création artistique.

« Que cette activité créatrice, dans la nature, s’exerce sans conscience, sans choix et sans but (réfléchi), ce n’est pas une raison pour Aristote d’opposer cette conception à celle de l’art humain ; car l’art humain, lui aussi, ne réfléchit pas, comme il le remarque expressément (Nat. aus., II, 8. De même que l’artiste ou son art doit avoir un but, le beau ou le bien, de même l’artiste caché qui exécute les œuvres de la nature doit aussi avoir le sien. Aussi peut-on bien le dire, tel est l’art objectif de la nature ou des fins du monde, telle est la tendance infinie qui conduit constamment de la puissance à l’acte. Le but, c’est d’abord le parfait, en général ; mais, à un degré plus élevé c’est la divinité, elle-même, qui est le but, l’objet du désir et de l’effort, Or, cela ne peut s’effectuer et être atteint qu’autant que le modèle (Vorbild) de la nature est imaginé (eingebildet) où que sa perfection, dans le degré où elle est possible, est représentée (nachgebildet) dans la nature, Du but suprême émane partout le mouvement. C’est la source de l’ordre dans l’univers, le cosmos, aussi bien que l’arrangement et la forme dans les êtres particuliers.

« Tout ce qui est en puissance passe à l’acte, devient actualité. Toutes les forces, tout ce qui est simple mouvement mécanique est soumis à un but plus élevé et dirigé par lui, de sorte que, dans le grand comme dans le petit, tout sert à un but et conserve ainsi un sens téléologique, sans but (réfléchi) à atteindre, par une coordination de la matière par la forme.

« Le processus universel tout entier représente ainsi une action artistique, quoi qu’inconsciente ; il est une réalisation de l’art, et celui-ci lui-même, n’est autre que l’activité vivante de la force de création formatrice ou de l’imagination. Et ainsi s’explique et se justifie toute l’idée principale qui fait le fond de la conception aristotélique du monde. Elle est empruntée, on le voit, au domaine de l’art, à la création de l’œuvre d’art, à ses moments et à ses propriétés. (Ibid.) »

Il est clair que, dans des termes aussi généraux et aussi peu déterminés, la thèse de l’auteur peut très bien se soutenir ; elle n’a même, on peut le dire, rien de bien neuf. S’il lui avait plu de chercher une analogie de son système avec celui de Platon, il nous semble qu’il l’aurait aussi facilement trouvée, quoique plus éloignée. Lui aussi, Platon conçoit le monde, l’univers visible comme une œuvre d’art ; il distingue seulement entre l’art divin et l’art humain. Il en serait de même de la conception stoïcienne de l’univers et de la nature, de la conception alexandrine, etc., car cette idée du beau et de l’art est au fond de toutes les productions de l’esprit grec, dans la philosophie comme ailleurs.

Quoi qu’il en soit, réduite à ces termes, l’analogie que M. Frohschammer