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cherche à établir entre la conception aristotélique et la sienne est réelle ; mais c’est à condition, de forcer l’interprétation, de supposer à Aristote des vues qui ne pouvaient éclore que deux mille ans plus tard, de l’expliquer lui-même à l’aide de ces vues toutes modernes, de trouver par exemple, chez Aristote, des moments dans l’œuvre d’art, etc., ce qui n’est nullement le fait d’une méthode vraiment historique, qu’on doive appliquer sans beaucoup de sobriété à l’histoire de la philosophie.

En tout cas, elle n’est propre qu’à établir des analogies, non de véritables ressemblances. Lui-même M. Frohschammer n’a-t-il pas éprouvé ces scrupules quand, avec une bonne foi qui l’honore, il a reconnu les difficultés du problème qu’il s’est efforcé de résoudre et signalé les obscurités que présente sur le sujet qu’il traite et qu’il a voulu élucider la doctrine d’Aristote ? Nous demandons encore la permission de le citer et de reproduire ses propres paroles (p. 106).

« Ici cependant se rencontrent de grandes difficultés dans la philosophie d’Aristote, Les formes (εἴδη) en effet, examinées de près, apparaissent non comme des principes vivants, proprement dits, doués de la faculté motrice et formatrice, mais seulement comme des formes fixes, inanimées en quelque sorte, elles-mêmes immobiles ; de sorte que le mouvement, la formation doit leur venir d’un autre facteur. Ce sont les mêmes concepts fixes, abstraitement conçus, desquels Platon a formé ses idées, qui, à la vérité, sont par Aristote introduits dans les choses réelles, mais en principe sans renfermer en eux aucune activité propre. Sous ce rapport, la forme aristotélique ou l’idée (εἴδη), quoiqu’elle soit comme immanente aux choses, encourt le même reproche qu’Aristote a vivement adressé aux idées de Platon, à savoir : qu’il leur manque la force d’activité, qu’elles ne sont pas des principes de mouvement et de causalité, parce que par la formule de la participation des choses aux idées rien n’est expliqué. L’εἴδος est à la vérité désignée comme éternelle, non soumise à la naissance et à la destruction, comme invariable ; comme un atome, mais elle n’apparaît pas comme force vivante créatrice ou même seulement formatrice, mais seulement comme la forme d’après laquelle les choses sont formées, pareillement aux idées platoniciennes. Il reste par conséquent là-dessus chez Aristote une grande obscurité, celle de savoir ce qu’est en réalité le principe actif dans l’introduction de la forme dans la matière ou de la matière dans la forme et comment cela arrive. »

Nos critiques paraîtront peut-être bien sévères à l’auteur ; nous regretterions qu’il crût que nous ne prisons pas hautement son nouveau travail. Toute la partie positive, en particulier celle qui renferme l’exposé détaillé de la théorie de l’imagination dans Aristote à tous les degrés de la connaissance humaine, nous a paru extrêmement instructive et intéressante ; elle jette un nouveau jour sur cette partie de la philosophie péripatéticienne.

Ch. Bénard.