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l’inspiration est plus profondément étudiée, plus soigneusement décomposée en ses éléments. Les quatre chapitres du livre forment trois parties : c’est la troisième (ch.  IV) qui nous paraît la plus originale et la plus intéressante. M. Joly, après avoir recherché ce que le grand homme doit à ses ancêtres (ch.  I et Il), ce qu’il doit au milieu où il se développe, prend ce grand homme une fois formé et examine comment il conçoit l’œuvre qu’il accomplira, par quels moyens il réalise ce qu’il a conçu, Il esquisse donc une théorie de l’invention et qui semble plus exacte que celle que M. Souriau exposait dans sa thèse, il y a deux ans. Il semble difficile d’admettre, comme M. Souriau, que l’invention ne peut être intentionnelle et qu’il y a même contradiction à le supposer. On ne sait pas exactement quel sera le résultat de ses recherches, sans quoi on n’aurait plus à chercher, mais on ne cherche pas d’ordinaire au hasard, sans méthode, Pour M. Joly, l’œuvre conçue et surtout aimée agit sur l’esprit comme la cause finale qui coordonne toutes ses forces et leur donne une unité : c’est cette idée directrice qui organise les autres idées en vue de l’œuvre dont elle est à la fois l’ébauche et le modèle. Ce qui nous frappe aussi beaucoup, c’est la conclusion ; le génie n’est pas quelque chose de spécial ; ce qui le constitue, ce sont les facultés ordinaires de l’homme, mais portées à l’excellence : le génie touche et confine à nous, et l’homme du génie est en somme un produit naturel. Le génie n’est pas une maladie, une névrose, comme on l’a prétendu, mais il n’est pas davantage un miracle : il se manifeste, quand les conditious nécessaires se trouvent réunies.

M. Joly écarte également la théorie de M. Galton, qui le fait dépendre exclusivement des conditions antérieures de l’hérédité, et celle de M. James, qui se refuse à étudier autre chose que les conditions de milieu. Il les concilie en montrant que le milieu même où se développe l’homme de génie est, comme son esprit, un produit des conditions antérieures. C’est là, nous semble-t-il, une vue très juste et qui contribue à enlever au génie son caractère miraculeux. M. James assimile un peu à la légère cette variation individuelle qu’on nomme le génie aux variations individuelles qu’a constatées Darwin ; il fait trop grande la part du hasard, en d’autres termes des causes externes. La même préoccupation d’expliquer les faits psychologiques au lieu de les admettre sans chercher à les comprendre, a du amener M. Joly à repousser cette pensée de Hartmann « que le génie reçoit comme un don des dieux qui ne lui coûte rien la conception totale et d’une pièce ». Dans le grand homme, le génie n’existe qu’en germe : ce germe va se développant, aidé ou contrarié par les circonstances, et l’œuvre, l’idée même de l’œuvre, se créent peu à peu. Ce que l’on appelle inconscient, c’est en réalité de la réflexion accumulée. Ce que nous faisons, c’est nous qui le faisons, ce n’est pas une force extérieure qui le fait en nous. M. Joly doit donc repousser la théorie de l’alternance entre le génie et la névrose : le génie n’est pas une maladie ; il n’alterne pas avec une maladie. Mais il est souvent le terme alterne d’une évolution ascendante, Si