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elle s’accorde de plus en plus à déclarer que la spéculation doit être le couronnement et non la base de l’édifice patiemment élevé par la recherche rationnelle. M. Lagrange, de son côté, déclare aux libres penseurs qu’il se sent incapable de les convertir au christianisme par le raisonnement, mais que, pour peu qu’ils y mettent de bonne volonté, il les gagnera, par la méthode scientifique expérimentale, à la foi qu’il partage.

Dans une première partie, après avoir causé à bâtons rompus des raisons que les incrédules opposent à la foi chrétienne et insisté sur ce que les motifs de leur obstination sont avant tout moraux, M. Lagrange aboutit à la conclusion suivante : « Sans discuter ici le mérite relatif des mobiles auxquels obéissent les spiritualistes et les matérialistes, nous croyons que, pour tout esprit vraiment impartial, à quelque école qu’il appartienne, les grands problèmes qu’ils agitent restent aujourd’hui sans solution scientifique rigoureuse ; des deux côtés, il y a des convictions à priori, pour la défense desquelles on accumule interprétation sur interprétation, raisonnement sur raisonnement et, si l’on affirme, ce n’est nullement parce qu’on en a le droit scientifique, mais parce que la possession de la certitude est le plus impérieux besoin de l’esprit humain. »

Dans une seconde partie, M. Lagrange montre que le résultat vainement cherché jusqu’ici doit l’être désormais « par les moyens de recherche d’où procèdent les données absolument certaines de la science », à savoir : l’observation et l’expérience. Dieu existe-t-il ? C’est une affaire de vérification expérimentale, « d’expérience scientifique ». Il s’agit, au fond, de mettre en relation deux objets, l’un d’une existence certaine : l’expérimentateur humain, — l’autre d’une existence douteuse : Dieu. Agissons comme si le second existait ; s’il se produit une réaction sui generis, l’existence de Dieu est établie.

Cette expérience, comme toute expérience physique ou chimique, demande à être entourée de toutes les circonstances qui la rendent possible. « Le physicien qui voudrait vérifier par l’oxydation d’un métal s’il existe de l’oxygène dans un mélange gazeux, aurait soin, avant de mettre le métal en contact avec le gaz, de porter sa température à un point convenable. Il sait très bien qu’à une température trop basse aucune oxydation ne pourrait se produire, et que, par conséquent, le résultat négatif de l’expérience ne prouverait rien contre l’existence de l’oxygène. — Il y a, d’une manière parallèle, un certain état de l’âme dans lequel le résultat négatif de l’expérience psychologique ne prouverait rien contre l’existence de Dieu. » Bref, voici l’énumération des « conditions scientifiques » où se doit mettre l’expérimentateur. Ce sont : humilité de l’esprit en présence de la puissance et de l’intelligence de Dieu, humilité du cœur, conviction du péché en présence de sa sainteté et de sa justice, désir de sainteté, espoir et confiance en présence de sa miséricorde et de son amour. » — Dieu, cherché dans ces conditions, éclatera au cœur comme à l’esprit.