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DELBŒUF. — la matière brute et la matière vivante

certains corps constituants qu’ils sont restés les mêmes (du moins dans les limites observables), c’est qu’en revanche d’autres ont subi des changements considérables. Nous déterminerons bientôt le caractère de ces changements.

Concluons donc : les propriétés observables des corps ne leur appartiennent pas entièrement en propre, mais leur sont attachées en partie par le travail de la communauté. Ainsi le veut l’absolue solidarité qui relie entre elles toutes les existences.

IV

La matière non vivante ne peut engendrer la vie

Nous venons de voir que les propriétés observables des corps sont tout au moins partiellement une résultante du travail de la communauté. De là cette conséquence : si la communauté renferme des êtres vivants, les propriétés des corps sont tout au moins partiellement une création de la vie.

Proposition, à première vue, bien paradoxale. Tâchons de la rendre acceptable.

En réalité, on vient de le voir, ces corps que nous avons appelés carbone, oxygène, hydrogène, azote, que nous croyions doués de propriétés immuables et constantes, sont loin d’être tels. Ils sont comme ces marionnettes à métamorphoses qui jouent un personnage tant qu’on ne tire pas un certain fil, mais qui, ce fil tiré, changent à l’instant de figure. Ils sont autres, par exemple, dans la nature dite brute et dans la nature vivante, — pour ne parler ici que des deux extrêmes.

Ce n’est pas l’oxygène et le carbone tels qu’ils sont dans l’acide carbonique, ce n’est pas l’azote et l’hydrogène de l’eau-forte, ou le phosphore et le soufre des acides phosphorique et sulfurique, qui animent et soutiennent la plante et l’animal. Allons même plus loin : l’oxygène et le carbone, et l’hydrogène et l’azote, et le phosphore et le soufre remplissent des fonctions différentes dans les différents organes des corps. Dans le cœur, par exemple, ils le font battre ; dans l’estomac, ils dissolvent les aliments ; dans le foie, ils sécrètent et forment la bile ; dans les muscles, ils meuvent ; dans les nerfs, ils sentent ; dans le cerveau, ils pensent. Et quand nos poumons extrayent l’oxygène de l’air atmosphérique pour l’introduire dans le sang, et que celui-ci le porte au cerveau sous l’impulsion du cœur, toutes les diverses comi-