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des morts pulvérisés qui lui ont laissé leur dépouille à déchiffrer comme une énigme, ne voit et ne cherche en eux que les procédés artistiques ou industriels, les dogmes, les rites, les besoins et les croyances caractéristiques, les mots et les formes grammaticales, attestés par le contenu de leur tombe, toutes choses transmises et propagées par imitation à partir d’un inventeur presque toujours ignoré, multiples rayonnements dont chacun de ces exhumés anonymes a été le véhicule éphémère et le simple lieu de croisement. À mesure qu’il s’enfonce dans un passé plus profond, l’archéologue perd davantage de vue les individualités ; au-delà du xiie siècle se, les manuscrits déjà commencent à lui faire défaut, et eux-mêmes d’ailleurs, actes officiels le plus souvent, l’intéressent surtout par leur caractère impersonnel. Puis les édifices ou leurs ruines, enfin quelques débris de poterie ou de bronze, quelques armes ou instruments de silex, s’offrent seuls à ces conjectures. Et quelle merveille de voir le trésor d’inductions, de faits, de renseignements inappréciables, que les fouilleurs de notre âge ont extrait, sous cette humble forme, des entrailles de la terre, partout où leur pioche à heurté, en Italie, en Grèce, en Égypte, en Mésopotamie, en Amérique même ! Il fut un temps où l’archéologie, comme la numismatique, n’était que la servante de l’histoire pragmatique, où l’on n’aurait vu dans le labeur actuel des égyptologues que le mérite de confirmer le fragment de Manéthon. Mais, à présent, les rôles sont intervertis ; les historiens ne sont plus que les guides secondaires et les auxiliaires des piocheurs, qui, nous révélant ce que ceux-là nous taisent, nous détaillent pour ainsi dire la faune et la flore des pays dessinés par ces paysagistes, les richesses de vies et de régularités harmonieuses disssimulées sous ce pittoresque. Par eux, nous savons de quel faisceau d’idées particulières, de secrets professionnels ou hiératiques, de besoins propres, se composait ce que les annalistes appellent un Romain, un Etrusque, un Grec, un Égyptien, un Persan ; et, au pied en quelque sorte de ces faits violents, réputés culminants, qu’on nomme conquêtes, invasions, révolutions, ils nous font entrevoir l’expansion journalière et indéfinie et la superposition des sédiments de l’histoire vraie, la stratification de découvertes successives propagées contagieusement. Ils nous placent donc au meilleur point de vue pour juger que les faits violents, dissemblables entre eux et alignés en séries irrégulières, tels que des crêtes de monts, ont simplement servi à favoriser ou à entraver, à resserrer ou à étendre dans des cantonnements plus ou moins mal délimités, la propagation régulière et tranquille de telles ou telle idées de génie. Et, comme Thucydide, Hérodote, Tite-Live deviennent de simples cicérones, quelquefois