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TARDE. — l’archéologie et la statistique

d’inventeurs plus antiques, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’en définitive, à l’origine de toute société et de toute civilisation, on trouve, comme données primordiales et nécessaires, d’une part, sans doute, des inspirations très simples dues à des besoins innés et purement vitaux en très petit nombre, d’autre part, et plus essentiellement encore, des découvertes accidentelles faites pour le plaisir de découvrir, de simples jeux d’imagination naturellement créatrice. Que de langues, que de religions et de poésies, que d’industries même, ont ce point de départ !

Voilà pour l’invention. Même réponse pour limitation. On ne fait pas tout ce qu’on fait par routine ou par mode ; on ne croit pas tout ce qu’on croit par préjugé ou sur parole ; c’est vrai, quoique la crédulité, la docilité, la passivité populaires dépassent immensément les bornes admises et que la vie sociale soit une sorte de somnambulisme où beaucoup de grands ancêtres et quelques grands contemporains, des fantômes et des fétiches, jouent collectivement le rôle de medium sur les masses magnétisées. Mais alors même que l’imitation est élective et réfléchie, qu’on fait ce qui paraît le plus utile, qu’on croit ce qui paraît le plus vrai, les actions et les pensées qu’on a choisies l’ont été, les actions parce qu’elles étaient les plus propres à satisfaire et développer des besoins dont l’imitation antérieure d’autres inventions avait déposé le premier germe en nous[1], les pensées parce qu’elles s’accordaient le mieux avec la connaissance déjà acquise par nous d’autres pensées accueillies elles-mêmes à raison de leur confirmation par d’autres idées venues jusqu’à nous préalablement, ou par des impressions tactiles, visuelles et autres que nous nous sommes procurées en renouvelant pour notre compte des expériences ou des observations scientifiques, à l’exemple de leurs premiers auteurs. On voit ainsi les imitations, comme les inventions, s’enchainer successivement, s’appuyer les unes sur les autres, sinon chacune sur soi-même, et, si l’on remonte cette seconde chaîne comme la première, on arrive enfin logiquement à l’imitation née de soi pour

  1. Ce n’est pas seulement par la nature des besoins ou des desseins antérieurs, c’est encore par celle des lois du pays relatives, par exemple, à la prohibition de telle industrie, ou au libre échange, ou à l’instruction obligatoire de telle ou telle branche du savoir, que l’on est influencé ou déterminé dans le choix de sa carrière et de sa doctrine, de ses actions et de ses idées, toujours copiées sur autrui. Mais les lois agissent sur limitation de la même manière, au fond, que les besoins ou les desseins. Ceux-ci nous commandent comme elles, et entre ce genre de commandement et l’autre il y a cette seule différence que l’an est un maître externe et l’autre un tyran intérieur. Au surplus, les lois ne sont que l’expression des besoins ou des desseins dominants de la classe gouvernante à un moment donné, besoins et desseins toujours explicables de la manière déjà indiquée.