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ainsi dire, à l’état mental des sauvages primitifs, parmi lesquels, comme chez les enfants, le plaisir d’imiter pour imiter est le mobile déterminant de la plupart des actes, de tous ceux de leurs actes qui appartiennent à la vie sociale. — Ainsi, je n’ai donc pas surfait non plus l’importance de limitation.

II

En somme, une faible imagination folle clair-semée çà et là au milieu d’une vaste imitativité passive qui accueille et perpétue tous ses caprices, comme les ondulations d’un lac prolongent le coup d’aile d’un oiseau : voilà le tableau de la société des premiers temps tel qu’il se présente à notre esprit. Il est pleinement confirmé, ce nous semble, par les recherches des archéologues. « M. Tylor fait observer avec raison, dit Sumner Maine dans ses Institutions primitives, que le véritable résultat de la science nouvelle de la Mythologie comparée, c’est de mettre en relief la stérilité dans les temps primitifs de cette faculté de l’esprit dont nous faisons la meilleure condition de la fécondité intellectuelle, l’imagination. Le droit comparé conduit plus infailliblement encore à la même conclusion, comme on pouvait s’y attendre en raison de la stabilité de la loi et de la coutume. » Cette observation ne demande qu’à être généralisée. Par exemple, quoi de plus simple que de représenter la Fortune avec une corne d’abondance ou Vénus avec une pomme à la main ? Cependant Pausanias prend la peine de nous apprendre que le premier de ces attributs a été imaginé originairement par Bupalus, un des plus anciens statuaires de la Grèce, et le second par Canachus, sculpteur d’Egine. D’une idée insignifiante qui a traversé l’esprit de ces deux hommes dérivent donc les innombrables statues de la Fortune et de Vénus, qui présentent les attributs indiqués.

Une autre résultat aussi important et moins remarqué des études archéologiques est de montrer l’homme aux époques anciennes, comme beaucoup moins hermétiquement cantonné dans ses traditions et ses coutumes locales, beaucoup plus imitatif du dehors et ouvert aux modes étrangères, en fait de bijoux, d’armes, d’institutions même et d’industries, qu’on n’était porté à le penser. On est vraiment surpris de voir, à un certain âge antique, une substance aussi inutile que l’ambre, importée depuis la Baltique, son pays d’origine, jusqu’aux extrémités de l’Europe : méridionale, et de constater la similitude des décorations de tombeaux contemporains sur des