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TARDE. — l’archéologie et la statistique

points très éloignés occupés par des races différentes. « À une même époque très reculée, dit M. Maury (Journal des savants, 1889, à propos des antiquités euganéennes), un même art, dont nous commencons à distinguer les produits, était répandu dans les provinces littorales de l’Asie Mineure, dans l’Archipel et dans la Grèce. C’est à cette école que paraissent s’être mis les Étrusques. Chaque nation en modifia les principes suivant son génie. » Enfin, aux âges préhistoriques même les plus primitifs, on s’émerveille de ces types de silex, de dessins, d’outils en os, partout les mêmes sur presque toute l’étendue du globe[1]. Il semble que toute période archéologique tranchée se signale par le prestige prépondérant d’une civilisation particulière qui à couvert de son rayonnement et empreint de sa coloration toutes les civilisations concurrentes ou vassales ; à peu près comme chaque période paléontologique est le règne de quelque grande espèce animale, d’un mollusque, d’un reptile, d’un pachyderme.

L’archéologie peut nous apprendre encore que les hommes ont toujours été beaucoup moins originaux qu’ils ne se flattent de l’être. — On finit par ne plus apercevoir ce qu’on ne regarde plus et par ne plus regarder ce qu’on voit toujours. Voilà pourquoi les visages de nos compatriotes, au milieu desquels nous vivons, nous frappent tous par leur dissemblance et leurs caractères distinctifs, quoiqu’ils appartiennent à la même race, dont les traits communs s’effacent à nos yeux, et pour quoi au contraire, en voyageant à travers le monde, on trouve que tous les Anglais, tous les Chinois, tous les nègres se ressemblent. On dira peut-être que la vérité est comprise entre ces deux impressions opposées. Mais ici, comme presque partout, cette méthode du juste milieu se montre erronée. Car la cause de l’illusion qui aveugle en partie l’homme sédentaire parmi ses concitoyens, la taie de l’habitude, n’obscurcit point l’œil du voyageur à travers des étrangers. L’impression de celui-ci a donc lieu de paraître bien plus exacte que celle de celui-là, et elle nous révèle

  1. On pourrait voir à première vue, dans la similitude si frappante des haches, des pointes de flèche et des autres armes ou instruments en silex découverts en Amérique et dans l’ancien continent, l’effet d’une simple coïncidence que l’identité des besoins humains de guerre, de chasse, de vêtement, etc., suffirait à expliquer. Mais ici même cette explication doit être rejetée. Entre autres preuves, signalons le fait que des haches polies, des pointés de flèche, des idoles mêmes en néphrite ou en jadéite, roches absolument inconnues sur tout le continent américain, ont été trouvées an Mexique. C’est une preuve incontestable que, dés l’âge de pierre, les germes de la civilisation avaient été importés de l’ancien dans le nouveau continent. Pour les âges postérieurs, le fait de cette importation est hors de doute. (V. M. de Nadaillac, l’Amérique préhistorique, p. 542.)