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TARDE. — l’archéologie et la statistique

les unes certaines, les autres vraisemblables à divers degrés suivant une échelle fort étendue de probabilité. Par là, ils ont merveilleusement contribué à étendre et approfondir le domaine de l’imitativité humaine, et à résoudre presque entièrement en un faisceau d’imitations combinées des autres peuples la civilisation de chaque peuple, même la plus originale au premier aspect. Ils savent que l’art arabe, de physionomie si nette, est pourtant une simple fusion de l’art persan avec l’art grec, que l’art grec a emprunté à l’art égyptien, et peut-être à d’autres sources, tels et tels procédés, et que l’art égyptien s’est formé ou grossi successivement d’apports multiples, asiatiques ou même africains. Il n’est point de terme assignable à cette décomposition archéologique des civilisations, il n’est point de molécule sociale que leur chimie n’espère à bon droit dissoudre en atomes plus simples. En attendant, c’est à trois ou quatre dans l’ancien monde, à un ou deux dans le nouveau, que leurs labeurs ont réduit le nombre des foyers encore indécomposables de civilisation, tous situés, chose étrange, et entre parenthèses, ici sur des plateaux (Mexique et Pérou), là à l’embouchure ou au bord de grands fleuves (Nil, Euphrate, Gange, fleuves chinois), quoique les grands cours d’eau, remarque avec raison M. de Candolle, ne soient nullement plus rares ni plus malsains en Amérique qu’en Europe et en Asie, et que les plateaux habitables ne manquent pas non plus à ces dernières parties du monde. L’arbitraire qui a présidé au choix des premiers civilisateurs ou importateurs de civilisation pour la fixation de leurs tentes se manifeste ici. Et jusqu’à la fin des temps, peut-être, nos civilisations, dérivées d’eux, porteront l’empreinte ineffacable de ce caprice primordial !

Grâce aux archéologues, nous apprenons où et quand, pour la première fois, a apparu une découverte nouvelle, jusqu’où et jusqu’à quelle époque elle a rayonné, et par quels chemins elle est parvenue de son lieu d’origine à sa patrie d’adoption. Ils nous font remonter, sinon au premier fourneau d’où sortit le bronze ou le fer, du moins à la première contrée et au premier siècle où l’ogive, où la peinture à l’huile, où l’imprimerie, et même, bien plus anciennement, où les ordres d’architecture grecs, où l’alphabet phénicien, etc., se sont révélés au monde justement ébloui. Toute leur curiosité[1], toute leur activité s’emploient à suivre dans ses modifications et ses travestissements

  1. Je sais que la curiosité des antiquaires est souvent puérile et vaniteuse. Les plus grands mêmes, tels que Schliemann, semblent plus préoccupés de découvrir ce qui a trait à quelque individu célèbre, Hector, Priam, Agamemnon, que de suivre les destinées des inventions capitales du passé. Mais autre est le mobile ou le but personnel des travailleurs, autre le produit net et le bénéfice définitif du travail.