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ANDRADE. — les théoriciens moralistes

nuit d’un bois, nous est insupportable, et au lieu de dire : notre ignorance, nous disons : le hasard.

C’est en ce sens que l’on dit quelquefois que le hasard décide, dans le pari précédent, du côté où Voltaire aura craché ; le hasard, sans compter la malice du parieur.

Si l’on observe que la conscience ne peut remonter la série de ses états antérieurs que jusqu’à cette phase vague où elle-même passe de l’état d’idée à celui de sentiment confus avant d’aller se perdre par degrés dans l’inconscient, on conçoit tout naturellement comment nous ne pouvons remonter bien loin dans la série des causes de nos actions et pourquoi nous insistons volontiers sur le point de la série qui nous intéresse le plus : l’organisation de notre moi ; nous sommes un anneau de la chaîne ininterrompue des effets et des causes ; quand sur cet anneau, le plus précieux pour nous se pose le doigt mystérieux de la vie, l’anneau tressaille sous le frisson du désir, et notre désir conscient nous plaît tant que nous sommes tentés de lui tout rapporter. On le voit, non content de déclarer que tout est fatal dans le sens philosophique, je reconnais à la psychologie le pouvoir d’expliquer, c’est-à-dire de faire rentrer dans la fatalité des lois l’origine de l’interprétation métaphysique des mots volonté, liberté.

C’est ainsi qu’une saine physiologie de la volonté, tout en niant le libre arbitre, doit reconnaître que son illusion a été pendant longtemps une condition du développement moral de l’homme, semblable en cela à certains organes qui concourent au développement de l’enfant et qui disparaissent le jour où ils sont devenus inutiles.

Aujourd’hui, le déterminisme a reçu comme doctrine et méthode (et il n’est pas autre chose) droit de cité dans la plupart des têtes de penseurs. Cependant ses rapports avec la morale ont effarouché nombre de personnes dont la timidité a regardé l’exposition même de ces rapports comme dangereuse pour la morale.

Pourquoi cette crainte ?

Précisément parce que l’on confond deux choses très distinctes, la morale, qui est de la vie, de l’action, et les théories morales qui ne sont que des théories.

À coup sûr, le déterminisme rejette l’origine innée des notions morales, car :

Si le mot inné signifie inconnu, le déterminisme se pique de jeter sur l’origine des notions morales dites innées un nouveau jour ;

Et, si le mot inné veut dire la génération spontanée d’une idée ou d’une vertu, le déterminisme déclare simplement ce mot menteur,

L’existence de nos idées morales est un fait ; à peine est-il besoin