Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/392

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
388
revue philosophique

de dire que ce fait n’est pas nié par un déterministe ; pour lui, la question est de savoir si dans les limites de la connaissance ce fait peut être rattaché à d’autres.

Or cette possibilité n’est pas mise en doute par la psychologie actuelle, si jeune soit-elle ; et les genèses morales encore morcelées des psychologues anglais sont le commencement de la recherche importante et étendue du mode de formation de nos idées morales considérées dans leurs rapports avec les lois naturelles.

La critique faite à la nouvelle psychologie a consisté à dire que les lois de la nature sont nombreuses, complexes, et que nous devons en ignorer ; mais une pareille critique a été adressée aux premiers efforts de développement de n’importe quelle science, dont les progrès se sont chargés d’y répondre.

Il y a une critique, la plus violente que l’on ait faite au déterminisme, critique d’action plus que de doctrine ; écoutons-la :

« Si tout est fatal, croisez les bras quand votre maison brûle, renoncez à toute l’activité de la vie ! À quoi bon l’effort si le résultat de la lutte est fixé d’avance ? »

Je réponds que tout n’est pas fixé d’avance pour nous, mais que tout le serait pour un esprit suffisamment bien renseigné sur la nature, je réponds encore que, si tout est fatal et si je ne croise pas mes bras quand ma maison brûle, c’est que vraisemblablement il est fatal que je sois actif, que j’aime à faire la chaîne dans un incendie, que j’aie un désir et que je lutte dans la vie pour le réaliser.

Sans doute la formation d’un moi et l’origine de sa sensibilité consciente sont des mystères, mais des mystères que je ne reconnais à personne le droit d’exploiter pour bâtir des systèmes.

Quant à croire que le déterminisme modifiant l’histoire de nos idées morales, c’est-à-dire les idées que nous, pouvons nous faire de nos sentiments moraux, pourra modifier ceux-ci et notre conduite, c’est une illusion assez naturelle ; mais enfin c’est une méprise, comme je le montrerai tout à l’heure, me contentant pour le moment d’une comparaison que le sens commun suggère.

Beethoven assista un jour à des expériences d’acoustique et prit ensuite un grand plaisir à écouter les théories de l’expérimentateur sur la physiologie de la musique. Qui de nous, s’il eût été là, eût songé à reprocher au grand musicien sa curiosité scientifique et à le menacer en cas de récidive de la perte de son inspiration musicale ? C’est pourtant une méprise du même genre que l’on commet lorsque l’on prétend que la psychologie du vouloir et du devoir faite par un psychologue s’oppose à sa vie morale et finira par le rendre incapable de vouloir et de devoir.