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science ; et, comme à un moment donné il ne se connaît que par son état de conscience, il déclare que la succession de ses états de conscience est voulue par lui. Du jour où son évolution mentale amène l’homme à se voir objectivement dans la nature et à deviner que ses phénomènes de conscience, ses manifestations du moi, sa vie psychique en un mot, sont la manifestation la plus haute, mais la plus spécialisée de son organisation ; il comprend l’intermittence de sa vie psychique ; de ce jour, sa connaissance de lui-même s’est agrandie en raison du nombre de lacunes qu’il découvre dans la continuité présumée de ses états de conscience, et il adapte d’autant mieux ses connaissances à la réalité extérieure qu’il sait que nombre de liens entre ses états de conscience lui échappent complètement, quoique ces liens existent réellement, mais se perdent dans un substratum inférieur ; le jour enfin où il sent que, si la nature ne fait pas de saut, sa vie consciente est obligée d’en faire, ce jour-là il reconnaît l’illusion de son libre arbitre. À coup sûr, la perte de cette illusion bouleversera bien des catéchismes moraux en modifiant l’histoire de notre moralité ; mais, si elle change l’idée que nous pouvons nous faire de notre moralité, elle n’influera en rien sur le fond de notre moralité.

III

L’indépendance de notre moralité et de l’idée que nous nous en faisons est une de ces vérités affirmées par la pratique de la vie humaine et sociale bien avant de l’être par les livres.

On peut faire une étude objective de ses sentiments moraux et de ceux d’autrui et, suivant le tour d’esprit que l’on apporte dans leur classification, aboutir à telle théorie morale ou à telle autre.

L’un pourra appeler sa conclusion spiritualiste, un autre appeler la sienne matérialiste ; mais dans l’une ou l’autre de leurs conclusions aucun esprit sincère ne cherchera autre chose que le tour d’esprit de celui qui y est conduit et ne songera jamais à en induire sa moralité.

On peut dire que la croyance à l’indépendance de la moralité et de sa théorie constitue le fond de notre tolérance intellectuelle.

On peut donner de cette indépendance des raisons d’ordre physiologique. Les physiologistes s’accordent à voir tous de la même manière l’évolution mentale de l’homme. De même que le système ner-