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ANDRADE. — les théoriciens moralistes

veux, là où il apparaît pour la première fois chez les animaux inférieurs, se présente comme le résultat d’une différenciation de structure des autres tissus, et de même que sa fonction est une spécialisation de l’irritabilité générale qui appartient aux moindres particules de protoplasma vivant, de même le développement mental résulte d’une série de développements partiels du système nerveux, série telle que les fonctions les plus tard venues (supérieures) s’appuient sur leurs aînées qui peuvent se passer d’elles, mais dont elles ne peuvent se passer. C’est ainsi que sur les fonctions réflexes susceptibles déjà d’une coordination, viennent reposer les fonctions des sens et sur ces nouvelles fonctions les fonctions d’idéation, dont la manifestation la plus haute est ce que nous nommons volonté. De cette hiérarchie des fonctions nerveuses qui paraît constituer l’esprit de l’homme, ce qu’il est important de retenir ici, c’est que les fonctions supérieures s’élèvent sur une organisation déjà formée par les fonctions inférieures, que ces dernières donnent souvent à leurs supérieures un avis physiologique de ce qu’elles accomplissent, mais que cet avis est si peu nécessaire à leur travail partiel qu’elles exécutent souvent mieux leur travail, précisément quand l’avis n’a pas été reçu par les centres supérieurs. C’est ce qu’on observe dans nombre d’actes musculaires, qui, une fois appris, s’exécutent d’autant mieux que la conscience y prend moins de part. Cette hiérarchie des fonctions nerveuses, a fait dire, en prenant le mot d’action dans un sens physiologique, que dans nos actions et souvent même dans leur coordination la conscience était un luxe. La hiérarchie des fonctions nerveuses va nous permettre de nous rendre compte de l’indépendance qui existe chez un homme entre sa moralité et sa théorie de la morale. Sa théorie de la morale est un jeu des centres supérieurs de son système nerveux, tandis que sa moralité lui appartient bien plus profondément ; elle est enfouie dans ses centres inférieurs, dans ses habitudes, dans ses instincts, j’allais dire que sa moralité, comme la création du génie, est inconsciente. Je ne me reprends pas.

Si deux hommes que je suppose également vertueux tous les deux se font deux idées différentes de la morale, cela signifie que leurs centres nerveux supérieurs n’enregistrent pas de la même manière les informations qu’ils reçoivent ; avec un même instinct, un même désir moral, ils donneront de leur même conduite morale deux explications différentes, voilà tout.