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IV

L’indépendance de la morale et des théories morales étant bien admise, examinons les diverses théories qu’on a données de la moralité. Si l’on se place au point de vue pratique, on peut dire avec raison ce qu’on a pu dire, en plaisantant, des sciences les plus tard venues, comme la physiologie, qu’elles étaient pour le moins inutiles, en ce sens que l’homme pour accomplir ses fonctions physiologiques n’avait pas besoin d’avoir étudié la physiologie, en ce sens aussi que les théories de la moralité ont commencé par décrire une moralité existante avant de prétendre à l’histoire de la moralité en général.

Mais, si les physiologistes peuvent aujourd’hui croire avec raison que leurs curiosités sont parfois utiles à la médecine, les moralistes théoriciens peuvent espérer être un jour ou l’autre utiles à la morale d’action. Ces moralistes ont raison mais à une condition : c’est qu’ils adapteront de plus en plus leurs théories aux réalités.

Il y a cependant de bonnes raisons de croire que les théories morales ne pourront de longtemps soulager les souffrances morales. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui leur seul bienfait est de produire un apaisement dans l’intelligence, dont elles peuvent apaiser plus ou moins les curiosités inassouvies.

Telle était en tout cas l’opinion des sages de l’antiquité, qui croyaient pouvoir guérir toutes les angoisses morales par l’étude de leur « science morale » mêlée à l’étude de la nature.

Épicuriens et stoïciens pouvaient ainsi guérir les hommes contemplatifs, mais non les hommes d’action. Ils créaient, comme l’a fort bien dit M. Guyau, une morale d’intelligence, non pas une morale de volonté.

Mais si les théories morales, en dépit des assertions de quelques moralistes, sont encore impuissantes à soulager les misères humaines, on peut les étudier avec une curiosité scientifique et voir comment l’esprit humain a pu se faire des représentations diverses du monde moral.

Je ne veux faire ici l’histoire d’aucun système, mais montrer où en est aujourd’hui le débat ; le débat, si débat a lieu, existe entre l’école évolutionniste et école de « la liberté idéale » ou l’école autonomiste ; ce sont les seules écoles sérieuses en présence, en laissant de côté, bien entendu, les morales religieuses.