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ANDRADE. — les théoriciens moralistes

Le programme de l’école autonomiste a été exposé dans cette Revue même[1], par l’un des plus éloquents interprètes de l’école, par M. Guyau. J’entre donc immédiatement dans le débat, essayant surtout de peindre l’attitude que le public a prise à ce débat, puis je donnerai mon opinion.

V

Veut-on voir la position qu’occupe dans ce débat l’école autonomiste ? Qu’on se reporte à ce qu’en a dit l’un des chefs de l’école, M. Fouillée, dans son beau livre sur « l’Idée moderne du droit en Angleterre, France et Allemagne » :

« Il est un naturalisme exclusivement matérialiste qui croit en avoir fini avec les idées de liberté, de personnalité, de droit, dès qu’il a montré qu’elles n’expriment pas des faits observables ; pourtant, si ces choses n’ont pas d’existence comme réalités, elles ont du moins une existence comme idée ; or est-ce là un mode d’existence qui n’ait aucune valeur et dont il ne faille tenir aucun compte ? Non, les idées sont des pensées, et les pensées ne sont point un élément sans importance, dont il soit permis de faire abstraction, surtout quand ces pensées sont celles qui dominent et gouvernent l’humanité. Pour le matérialisme brut, tout ce qui n’est pas une réalité est une chimère ; mais, objecterons-nous, ce qui n’est pas une réalité peut être un idéal. »

On peut être un peu surpris de cette opposition faite par M. Fouillée entre les réalités et les idées, cette réalité intérieure, mais on peut voir par ce passage que les idées qui au fond sont celles de liberté, de personnalité, de droit seront le cheval de bataille de école ; pour ma part, je leur accorde comme idées une grande importance ; je suis même persuadé qu’elles rappellent un fait très observable, le sentiment ou l’émotion de notre propre vie. Où je commence à différer d’opinion avec plus d’un élève de l’école autonomiste, c’est en conservant la certitude que ces faits, les derniers venus dans l’évolution mentale de l’homme, pourront braver l’analyse au laboratoire psychologique sans rien perdre pour cela de leur toute-puissance sur nous, sinon à l’heure de philosopher, du moins à heure de l’action.

Nous pénétrons plus avant dans la psychologie de l’école autonomiste en continuant d’écouter M. Fouillée. « Parlons d’abord de la liberté intérieure. Il est certain que le bien réalisé volontairement par

  1. Voir le numéro de mars 1883, p. 243.