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l’individu et sans contrainte venue d’autrui est, sous tous les rapports, supérieur au bien contraint. » Supérieur au point de vue de notre émotion ? oui. Plus loin, M. Fouillée veut concilier scientifiquement le naturalisme et l’idéalisme par l’idée du droit. « Le trait d’union entre le naturalisme et l’idéalisme, le moyen par lequel se réalise l’idéal, c’est, selon nous, l’évolution, qui, étant ici consciente et se proposant à elle-même un but, peut s’appeler progrès ; seulement nous nous représentons d’une façon particulière cette évolution. Selon nous, le moteur trop peu remarqué qui l’accomplit est l’influence exercée par l’idée sur sa propre réalisation. »

Remarquez ces mots : se proposant à elle-même un but ; ils n’ont l’air de rien, et c’est pourtant de leur interprétation psychologique avouée ou inavouée que dépendra le côté où versera la conclusion de l’homme qui les emploie.

Les mots de but, de dessein, que le langage courant emploie en parlant de la volonté, sont dangereux en philosophie morale.

Au point de vue psychologique, ce que nous appelons but n’est que le corrélatif subjectif, corrélatif invétéré dans l’esprit, d’une loi naturelle ; c’est une adaptation intérieure d’un rapport conscient à un rapport extérieur.

Si l’on oublie cette signification du mot but, on peut être sûr d’aboutir à une conclusion comme celle-ci, qui appartient à M. Fouillée :

« L’accord du libre arbitre vulgaire avec le déterminisme scientifique est impossible ; au contraire, nous maintenons au déterminisme sa place légitime, et nous en faisons même, comme on le verra tout à l’heure, un moyen d’affranchissement et de progrès. Mais, dira-t-on, comment la liberté pourrait-elle se concilier avec une détermination de plus en plus grande vers un point donné ?

« Cette objection vient de ce que l’on conçoit la détermination comme essentiellement passive et toujours produite par la force du dehors ; mais la vraie détermination pourrait être active, produite par la force intelligente du dedans qui se dégage des obstacles, prend de plus en plus conscience d’elle-même et s’impose à tout le reste. Dans ce cas, la volonté serait déterminée par sa seule nature, ou pour mieux dire par sa seule spontanéité ; or c’est la détermination par soi qui constitue l’idée de Liberté. Ne dépendre que de soi, ce serait être indépendant. D’ailleurs, répétons-le, ce n’est là qu’une pure idée. » Devant cette déclaration d’un esprit élevé, on peut supposer deux choses.

La liberté morale, qu’il vaudrait peut-être mieux appeler individualité morale, consiste-t-elle à avoir conscience des formes les plus hautes de sa vie, à jouir de leur contemplation, et devant la coor-