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ANDRADE. — les théoriciens moralistes

dination toujours grandissante de ses actes et de ses sentiments, devant leur harmonie sentie par soi, à déclarer qu’on se sent aussi moralement grandir ? Dans ce cas, il n’y a pas de débat proprement dit entre l’école évolutionniste et l’école idéaliste. Ou bien ce qu’on entend par liberté morale signifie-t-il que la volonté est une force réellement indépendante ? En ce cas, nous ne pouvons qu’être du même avis que Maudsley :

« Dire que les actions dépendent de la volonté sans se demander de quoi dépend la volonté, c’est se duper soi-même ; c’est ressembler à la boussole, qui prendrait plaisir, comme dit Leibnitz, à indiquer le pôle, sans s’apercevoir du mouvement insensible de la matière magnétique qui la force à l’indiquer. »

Dans quel sens devons-nous prendre la déclaration de M. Fouillée ? En d’autres termes, comment M. Fouillée conçoit-il l’individu ? Il nous le dit lui-même :

« La théorie du droit nous ramène ainsi finalement en présence du problème profond qui agita le moyen âge et qui renaît dans l’Allemagne contemporaine sous le nom du problème de l’individuation. Qu’est-ce qui constitue l’individu ? Où est la racine dernière de ce mot auquel est inhérent le droit ?… Sans doute la part du milieu physique et social sera toujours grande. Organes, tempérament, hérédité, éducation, que d’influences qui agissent sur moi ! Je suis le point de rencontre et d’intersection d’une infinité de circonstances, comme un cercle imperceptible qui serait coupé en tous sens par une infinité de grands cercles enchevêtrés ; sous l’entrecroisement de ces lignes, l’œil chercherait en vain à le saisir ou irait jusqu’à nier son existence. Supposez pourtant qu’il renferme en son centre vivant une puissance d’expansion qui lui permette de s’agrandir sans cesse et de jeter en tous sens ses rayons ; peut-être un jour deviendrait-il visible et faudrait-il reconnaître en lui un foyer de vie sans limites ; c’est le symbole de l’idéale liberté, qui est peut-être, en son essence la plus intime, une réelle liberté. »

Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il y a au fond de l’homme un mystère, quel que soit le nom qu’on lui donne, qu’on l’appelle avec Hamilton et M. Spencer l’Inconnaissable, avec M. de Hartmann l’Inconscient, avec Schelling et Schopenhauer la Volonté absolue ; il y a dans la conscience de l’homme une perspective sans fond, une échappée sur l’infini : l’idée de l’absolu.

L’auteur ajoute « l’idée de liberté ».

Je dirai simplement : notre idéal, quelquefois même notre idéal d’un moment. Je suis un déterministe, et j’ai pourtant un idéal ;