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de sa faveur… » Il reçut en compensation le doyenné de Saint-Paul, qui lui permit de résigner sa prébende de Rochester et même son bénéfice de Stanhope. Après onze ans, il fut enfin promu à l’évêché de Durham. Il n’occupa ce siège que pendant deux années. Il mourut le 16 juin 1752 et fut enseveli dans son ancienne cathédrale de Bristol.

Je n’ai pu suivre M. Lucas Collins dans tous les détails de sa biographie de Butler. Il s’y trouve plus d’un trait que je voudrais avoir le loisir de rapporter pour bien faire connaître le caractère de notre philosophe. La modestie, le désintéressement, autant que l’une et l’autre de ces vertus sont permises dans certaines conditions, semblent avoir été ses deux qualités dominantes. En 1747, il refusait archevêché de Cantorbéry par pure défiance de ses forces et se brouillait ainsi avec sa famille, qui s’étant enrichie dans le commerce, considérait cette nomination comme une bonne affaire et ne comprenait rien à ses scrupules. Sa bonté, sa bienfaisance étaient celles d’un évêque digne de ce nom, et s’il avait conservé jusqu’à la fin le goût de bâtir, il n’en menait pas moins la vie la plus simple. Un peu de mélancolie habituelle, quelques bizarreries l’exposèrent parfois, autant que la sévérité de ses doctrines, aux railleries de ses contemporains les plus spirituels, comme Bolingbroke et Horace Walpole, Mais je ne sache pas que ce soit pour un philosophe une mauvaise note que d’encourir cette sorte de disgrâce.

Butler a peu écrit, et nous n’avons à nous occuper que de l’Analogie et des Sermons prononcés à la chapelle des Archives.

L’analogie de la religion naturelle et de la religion révélée avec la constitution et le cours de la nature[1] est, comme le titre l’indique, une apologie de la religion sous ses deux formes. Cette apologie a paru longtemps difficile à réfuter ; du moins n’a-t-elle pas soulevé d’abord de critiques sérieuses ; de notre temps, au contraire, elle est attaquée à la fois par les adversaires et les partisans de la religion, comme voulant à la fois trop et trop peu prouver. Il est aisé de comprendre ce double reproche, quand on sait que Butler se propose seulement d’arriver à cette modeste conclusion : « Il n’est pas évident qu’il n’y a rien dans la religion révélée, » et à plus forte raison dans la religion naturelle. C’est là, selon lui, tout ce qu’on doit attendre du raisonnement par analogie dont il se sert, et c’est assez ; car, dans le doute où l’on s’arrête, mille raisons morales interviennent pour nous décider à pratiquer nos devoirs religieux. Pascal avait dit, mais à sa manière, quelque chose de semblable.

Quel est le raisonnement par analogie qui conduit Butler à cette conclusion ? Il en avait trouvé la première idée dans un passage curieux d’Origène : « Si l’on croit que l’Écriture sainte procède de Celui qui est l’auteur de la nature, on doit s’attendre à trouver dans ce livre les

  1. L’analogie, etc., a été traduite en français (1821) sous ce titre : Traité de l’analogie de la nature et de la religion.